Intervention de Jean-Luc Tavernier

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) :

Vous avez bien plus de questions que nous n'avons de réponses ! Pour notre part, à l'INSEE, nous avons effectué un pur travail de statisticien, innovant tout de même par les données dont l'accès nous a été ouvert. Nous continuerons à le faire car, en tant qu'institut statistique, notre rôle est de mesurer ce qui se passe et d'en rendre compte, plutôt que d'établir des scénarios et des prévisions.

Monsieur Dufrègne, nous ne produisons pas de statistiques par territoire, mais vous pouvez, selon la spécialisation de votre territoire dans telle ou telle activité – agroalimentaire ou tourisme, par exemple –, voir comment les choses évoluent.

Nous allons essayer de continuer à publier nos statistiques d'inflation comme nous le faisons d'ordinaire mais, dans la situation particulière qui est la nôtre, je n'envoie plus d'enquêteurs relever les prix dans les magasins. Heureusement, depuis le mois de janvier, nous publions l'indice des prix en partie grâce aux données dématérialisées des enseignes de la grande distribution, mais cela ne couvre pas tout. Nous récupérons aussi des données sur internet et, depuis cette semaine, nous essayons de reprendre les enquêtes – uniquement par téléphone – dans les commerces. Des données dont nous disposons, il ne ressort pas d'épisode inflationniste, ou alors limité à très peu de produits. Ce qui risque de dominer la chronique de l'inflation à très court terme, c'est l'effondrement du prix du pétrole, mais l'indice des prix intègrera une utilisation des carburants plus conforme à la réalité du moment.

Nous ne savons pas ce que vont décider les collectivités territoriales en matière d'investissement public. En temps normal, nous avons déjà beaucoup de mal à obtenir de leur part des informations conjoncturelles ; nous avions testé une enquête de conjoncture, mais le taux de réponse a été tellement désastreux que nous l'avons abandonnée, et le moment n'incite pas à relancer l'opération. Nous nous trouvions déjà dans la période du cycle électoral municipal où l'investissement public a tendance à beaucoup diminuer – il passe en général en dessous de sa moyenne en début de mandat. De ce point de vue, le report du second tour des élections dans certaines communes ne va qu'ajouter à cette période d'incertitude.

S'agissant de l'épargne des ménages, nous n'avons, pour le moment, pas fait de prévisions. L'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE) l'a fait ; c'est davantage son rôle que le nôtre. Il ne fait aucun doute qu'au niveau macroéconomique, le taux d'épargne va augmenter en cette période de confinement : une baisse de la consommation de 35 % ne signifie pas une baisse équivalente du revenu des ménages ; ils se retrouvent en quelque sorte forcés à épargner. Au niveau microéconomique, il y a cependant des catégories de personnes – travailleurs indépendants, salariés en fin de CDD non renouvelés, intérimaires, certains étudiants – auxquelles nous devons porter une attention particulière.

En matière de finances publiques, nous allons être dans le flou pour un bon moment. Bien évidemment, il va y avoir un fort accroissement du déficit public et de la dette publique, et le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR) en rendra compte. Toutefois, l'ampleur du déficit public dépendra de deux facteurs très incertains : d'une part, les garanties sur les prêts bancaires qui, tant qu'elles ne sont pas appelées, ne concourent pas au déficit ; d'autre part, le moratoire sur les créances fiscales et de contributions sociales, dont on ne sait pas dans quelle mesure il conduira à effacer ces dettes pour certaines entreprises – tant qu'il ne s'agit que d'un moratoire, il ne pèse pas sur la soutenabilité des finances publiques à long terme. Ces deux facteurs peuvent avoir des effets importants sur les agrégats de finances publiques – déficit et dette –, mais ils sont pour le moment impossibles à mesurer.

Concernant la garantie, l'Allemagne est passée de 70 % à 100 % ; en France, nous sommes à 90 %. L'idée d'un ticket modérateur pour les banques a un sens dès lors qu'on est capable de faire de la surveillance, voire du naming and shaming, en regardant quels réseaux bancaires jouent bien le jeu et lesquels sont trop frileux.

Je ne saurais dire quels secteurs ont les meilleures capacités de reprise. Des réflexions sont en cours, notamment à Bercy, pour déterminer quels sont ceux qu'il faudrait favoriser dans le cadre d'un déconfinement progressif par secteur. Outre la santé, je milite pour donner la priorité à tout ce qui est lié aux chaînes logistiques, sans quoi il sera difficile de raccommoder les chaînes de valeur. L'État, en concertation avec les filières industrielles, doit veiller à ce que ces chaînes fonctionnent à nouveau, en intervenant autant qu'il le peut.

Sur le plan international, on appelle beaucoup à la coordination mais, lorsqu'il y a le feu, on envoie d'abord les pompiers de proximité. Du reste, le choc est symétrique et la pandémie d'ampleur semblable dans la plupart des pays comparables. De même que les réponses sanitaires sont globalement similaires, il est normal que les réponses économiques soient, elles aussi, homogènes – prêts aux entreprises, activité partielle ou chômage partiel notamment. Le besoin de coordination me semble surtout utile pour éviter que le choc symétrique devienne asymétrique, dans l'hypothèse où les marchés commenceraient à opérer une sélection, à augmenter les spreads, témoignant ainsi d'une méfiance vis-à-vis de tel ou tel pays, comme c'est arrivé par exemple pour l'Italie.

Enfin, dans les pays émergents ou plus pauvres, il n'y a pas d'indicateurs analogues à ceux que nous avons mis en place. Personne ne sait actuellement chiffrer l'effet de la pandémie sur l'activité, surtout dans des pays où le secteur informel est très important.

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