Intervention de Simon Cauchemez

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Simon Cauchemez, responsable de l'unité de modélisation mathématique des maladies infectieuses à l'institut Pasteur :

La première fois qu'un collègue m'a parlé de cette approche, j'avoue lui avoir gentiment ri au nez, tant ce montage paraissait fou… Mais face à la réalité dramatique de l'alternative – laisser filer l'épidémie pour créer une immunité de groupe, au risque d'une crise sanitaire majeure, ou bien alterner des périodes de confinement et de déconfinement jusqu'à l'arrivée d'un vaccin –, j'ai réfléchi au modèle coréen et à l'apport possible des technologies, et j'y ai vu une lueur d'espoir. Il y a certes de nombreux défis à relever, mais il faut considérer le numérique comme un outil complémentaire, susceptible de renforcer les autres dispositifs. À la question de savoir si cette approche me satisfait, je répondrais donc qu'elle ne peut être totalement écartée.

Les Français doivent avoir en tête les différentes options. Si nous voulons échapper au confinement, nous devons être capables de mettre en oeuvre une approche efficace d'identification et de suivi. La fracture numérique est un vrai problème, et l'outil numérique ne pourra éviter le déploiement large d'équipes sur le terrain. Certaines caractéristiques du virus, notamment la possibilité de contamination présymptomatique et les nombreuses personnes asymptomatiques, nous faisaient penser que le modèle coréen ne serait pas efficace ; mais force est de constater qu'il donne des résultats et que nous devons nous en inspirer. Encore faut-il avoir un dispositif d'une réelle efficacité. Le numérique peut aider à la renforcer.

Le seul exemple dont nous disposons sur l'usage de ces technologies est celui des pays asiatiques, où le contexte est très différent du nôtre. Les tentatives européennes en la matière n'ont pas encore été validées sur le terrain. Si peu de gens utilisent l'outil numérique, l'impact des mesures d'identification et de suivi sera réduit et, sans nécessairement aller jusqu'au confinement, il faudra renforcer les mesures de distanciation sociale. De notre capacité à mettre en oeuvre un dispositif efficace d'identification des cas et de suivi des contacts – d'ailleurs pas uniquement fondé sur l'outil numérique – dépendra la décision d'atténuer ou non les mesures de distanciation sociale.

Dans le cadre de ce dispositif, ce sont les tests d'amplification en chaîne par polymérase (PCR), qui permettent de détecter les personnes infectées au moment de leur réalisation, qui seront utilisés. Quant aux tests sérologiques, ils permettront de savoir qui a été infecté par le passé, et donc d'évaluer la situation en matière d'immunité collective ; peut-être aurons-nous une heureuse surprise, ce qui autoriserait à prendre des mesures de contrôle après confinement plus légères que prévu. La sérologie permettra aussi tester les médecins, afin de déterminer ceux ne présentant plus de risque pour leurs patients.

La collecte des données personnelles n'a pas d'utilité dans un contexte où il n'y a pas de dépistage à grande échelle et où le virus circule fortement. C'est seulement une fois que nous aurons réussi à éteindre la vague épidémique, lorsqu'il n'y aura plus que quelques cas sur le territoire national, et que la stratégie consistant à tester la population de manière intensive pour identifier tous les cas pourra être mise en oeuvre, que l'utilisation des outils numériques prendra son sens ; cela permettra d'éviter que l'épidémie ne redémarre – c'est la stratégie qui était utilisée au début de l'épidémie, par exemple pour traiter le cluster des Contamines-Montjoie.

Il faut replacer cette application dans un dispositif bien plus large, qui va de l'identification des cas jusqu'au traçage des contacts, et dont nous espérons qu'il nous permettra d'échapper à un nouveau confinement. S'il recueille une bonne adhésion au sein de la population et si toute la chaîne se met en place, il peut avoir un impact important. Il reste à savoir si nous parviendrons à mettre en place ce système dans le contexte français et dans les délais impartis mais, hormis un nouveau confinement, je ne vois pas d'alternative.

Concernant la durée de conservation des données personnelles, si une personne est détectée au début des symptômes, soixante-douze heures me paraissent un délai raisonnable pour essayer d'identifier les contacts auxquels elle a pu transmettre le virus. Dans les cas de détection plus tardive, ce délai risque en revanche de ne pas permettre une telle identification.

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