Intervention de Cédric O

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique :

L'efficacité forme avec les libertés publiques les deux enjeux principaux soulevés par cette application.

Monsieur Houlié, le taux de pénétration des smartphones dans la population française est de 77 % – 40 % chez les plus de soixante ans. Le chiffre de 13 millions que vous citez correspond non pas aux personnes non connectées mais aux personnes ayant des difficultés avec le maniement des outils numériques, qu'elles aient ou non un smartphone. Cela constitue pour moi une préoccupation majeure.

Quelle part de la population française devons-nous viser ? Je ne le sais pas. Les premiers travaux d'épidémiologistes remontent à seulement un mois et un taux national peut cacher des disparités entre zones très bien couvertes et d'autres moins.

J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une solution magique. La stratégie de déconfinement est beaucoup plus large et il n'est pas impossible que dans quelques semaines ce projet se dégonfle. Cela dit, il serait irresponsable de la part du Gouvernement d'y renoncer aujourd'hui.

Nous voulons que l'application soit la plus simple possible afin de la rendre accessible aux personnes en situation de handicap et aux personnes qui ont des difficultés avec le numérique. Nous explorons la piste, d'une grande complexité technologique, d'un équipement produit et distribué massivement pour toutes les personnes qui ne possèdent pas de téléphone portable ou ne savent pas s'en servir. Ce processus prendrait évidemment bien plus de trois à six semaines.

Quant à la CNIL, nous la tenons très régulièrement informée de nos réflexions et de nos choix techniques. Elle ne sera saisie que lorsque l'application sera au point afin qu'elle s'assure de sa conformité avec la loi.

L'INRIA, qui est chargée de la coordination technique du projet, a mis en place plusieurs groupes de travail au sein desquels collaborent ses chercheurs et des développeurs venus, sur la base du volontariat et à titre gratuit, de grands groupes français ou de start-up, françaises elles aussi – je ne peux révéler leur identité. Nous pensons avoir réuni les meilleures compétences techniques du pays. Si l'application fonctionnait, nous aurons à nous poser d'autres questions sur les liens avec l'industrie. Aucun profit ne sera tiré de l'application, qui sera un commun numérique, donc gratuit et en open source.

Madame Vichnievsky, je ne pense pas que l'application n'ait d'intérêt que si une part importante de la population a été testée. Cela dit, il faut que la prévalence de l'épidémie ait baissé dans des proportions significatives pour qu'elle soit pertinente. Quand il y aura moins de personnes contaminées, elle permettra de détecter très vite avec qui elles ont été en contact.

Vous citez le cas de Singapour, monsieur Saulignac. L'application a été lancée il y a trois semaines alors que les développements technologiques n'étaient pas optimaux, du fait notamment des limites du Bluetooth. Le traitement des données collectées n'a jusqu'à présent consisté qu'à vérifier la concordance entre les données recueillies par son intermédiaire et celles relatives aux cas contacts saisies manuellement. La reconstitution des parcours repose encore majoritairement sur un travail effectué par des humains.

La Corée du Sud, souvent citée en exemple, n'a pas trouvé de solution technologique magique. Elle n'a pas d'application de traçage. Elle contrôle le respect du confinement par les données GPS et se sert, de façon parcimonieuse, des informations fournies par les transactions bancaires et les caméras de vidéo-surveillance. Sa force principale pour endiguer l'épidémie réside dans l'armée de personnes qui retracent, grâce à des appels téléphoniques, les cas contacts dans des fichiers Excel et dans sa capacité à identifier les lieux par lesquels les malades sont passés pour les désinfecter. Au reste, ces méthodes ne seraient pas considérées comme conformes au RGPD.

Madame Vichnievsky, je ne peux à ce stade vous donner des précisions sur l'architecture technique. Si toutes les données restent stockées sur les téléphones, il y a un risque que les utilisateurs puissent savoir quels contacts les ont contaminés. Par ailleurs, il existe des failles de sécurité et des problèmes avec les mises à jour. Soyez assurée de notre intransigeance. Nous veillerons à ce que l'architecture retenue assure l'anonymat, permette de supprimer les données quand elles ne sont plus utiles d'un point de vue épidémiologique et rende impossible à une personne malveillante d'accéder à la liste des personnes contaminées ou d'identifier les cas contacts. Le code de l'application sera public et les choix retenus pourront faire l'objet de débats.

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