Intervention de Edouard Philippe

Réunion du mercredi 1er avril 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Edouard Philippe, Premier ministre :

Les territoires ultramarins connaissent une plus grande fragilité que la métropole sur le plan sanitaire. Cette situation ancienne tient à l'insularité et à l'éloignement, ainsi qu'au vieillissement accéléré de la population – c'est particulièrement vrai dans votre territoire, monsieur Serva. C'est pourquoi nous avons appliqué aux outre-mer les mêmes décisions que nous avons prises pour la métropole, alors même que le virus n'y circulait pas de manière aussi rapide ou étendue. Le confinement nous y a semblé plus nécessaire qu'ailleurs, pour freiner l'épidémie très fortement dès le début. Nous avons aussi demandé aux préfets de renforcer ces mesures, en cas de besoin, sur le fondement des mêmes dispositions que celles qui s'appliquent en métropole, en appliquant le couvre-feu là où c'est nécessaire, compte tenu des risques sanitaires.

À côté de ces mesures de freinage, nous avons demandé aux autorités sanitaires d'organiser le renforcement des moyens sanitaires dans les outre-mer de la même façon qu'il l'est en métropole : déprogrammation des opérations, dans le cadre du plan blanc, accroissement du nombre de lits de réanimation, apport de renforts humains par la réserve sanitaire. Dans certains territoires, le recours à des médecins titulaires de diplômes de pays extérieurs à l'Union européenne a été facilité – des médecins cubains sont ainsi intervenus aux Antilles. Dans la gestion des stocks de matériels, d'équipements de protection individuelle et de tests, nous avons veillé à ce que les outre-mer soient bien servis. Parmi les dix automates de traitement des tests virologiques en notre possession, nous avons décidé d'en installer un aux Antilles et un autre à La Réunion, afin d'accroître la capacité locale de procéder à des tests. Dans le cadre de l'opération Résilience, des moyens militaires sont affectés aux outre-mer, qui, sans être des bateaux-hôpital – l'armée française n'en dispose pas – permettent d'accompagner médicalement, de faciliter les transferts et de renforcer l'offre sanitaire générale.

Le soutien économique est également indispensable, et l'ensemble des mesures contenues dans la loi sur l'état d'urgence sanitaire s'appliquent aux outre-mer. L'inflation risque de devenir rapidement un sujet de préoccupation. La continuité logistique et l'approvisionnement doivent être assurés afin d'éviter des phénomènes spéculatifs et des mécanismes de marché qui rendraient insupportable l'évolution des prix. C'est un sujet que nous surveillons avec beaucoup d'attention. Nous avons demandé aux préfets la création de cellules d'urgence économique pilotées avec le concours des secrétaires généraux pour les affaires régionales, des socioprofessionnels, des chambres consulaires, des banques, des acteurs institutionnels, de façon à pouvoir calibrer la réponse.

Dans le cadre de l'activité partielle, vous demandez le prépaiement des salaires par l'ASP. J'entends que nombre d'entreprises dans les territoires ultramarins connaissent des difficultés de trésorerie, mais je sais aussi qu'un tel prépaiement pour les unes risquerait d'entraîner, pour les entreprises disposant de trésorerie, des solutions plus longues. Je suis prêt à ce que le ministère des outre-mer et celui de l'économie et des finances étudient avec vous les adaptations qu'il conviendrait d'apporter compte tenu des spécificités des territoires d'outre-mer, pourvu que l'efficacité de notre dispositif ne s'en trouve pas réduite.

Monsieur Peu, je me joins à la pensée que vous avez eue pour une salariée décédée de la grande distribution qui travaillait dans votre commune. Ce qui se joue dans ce secteur d'activité, c'est d'abord la santé d'hommes et de femmes. Il faut, dans toute la mesure du possible, la garantir. Je le crois, un grand nombre de dirigeants de ces enseignes se sont efforcés de le faire en posant rapidement des plaques de plexiglas, en mettant à disposition du gel hydroalcoolique à l'entrée des supermarchés, et en limitant le nombre de personnes pouvant se trouver dans les commerces. Je ne peux évidemment pas garantir que ce soit le cas dans tous les supermarchés, mais je sais que des efforts considérables y sont consentis par l'ensemble des personnes y travaillant.

Il faut aussi garantir l'accès de la population française à l'alimentation et la satisfaction de besoins de très grande nécessité. Les commerces non essentiels et un certain nombre de marchés ont fermé, mais nos concitoyens doivent pouvoir faire leurs courses dans des conditions, certes sûres, mais normales, faute de quoi la pénurie alimentaire pourrait s'installer, ce qui compliquerait davantage la capacité de résilience du pays. Je veux saluer l'ensemble des acteurs de la grande distribution : tant les femmes et les hommes qui assurent la permanence des rayons, que tous ceux qui concourent à la chaîne d'approvisionnement, qui se battent pour que l'économie de la distribution continue à fonctionner. J'ai aussi une pensée pour les petits commerces de bouche, les boulangers, les artisans, qui restent ouverts et garantissent l'accès de nos concitoyens à une alimentation de qualité : ces héros du quotidien, il ne faut pas les oublier.

Pour l'instant, les contrats d'assurances ne prévoient pas le remboursement des pertes d'exploitation en cas de pandémie. Je l'ai dit, nous avons demandé aux assureurs, qui l'ont accepté, de participer à hauteur de 200 millions au fonds de solidarité. Nous allons faire en sorte, par un travail d'échanges avec eux, qu'ils puissent s'associer dans la durée à ces efforts, et peut-être aller au-delà. C'est l'intérêt bien compris de tout le monde de permettre à notre pays de passer cette phase difficile.

Je peux comprendre que vous souhaitiez une indemnité de chômage partiel égale à 100 % de la rémunération nette pour les salariés percevant un salaire inférieur à deux SMIC, mais je me permets de souligner que nous avons mis en place, pour les salariés, le dispositif le plus généreux d'Europe, plus généreux même que le dispositif allemand. Sans méconnaître l'impact que peut avoir le passage à l'activité partielle sur les revenus d'un ménage, je pense que nous avons élaboré un dispositif d'urgence qui permettra de tenir dans la durée mieux que celui qui avait été mis en place 2008 et qui n'avait pas empêché la disparition de nombreuses entreprises. Nous avons appris du système instauré à l'époque par les Allemands qu'une plus grande générosité permettait un redémarrage plus rapide.

Monsieur Pancher, nous suivons les recommandations de l'OMS. Traditionnellement, l'organisation recommande, lorsqu'on arrive en phase épidémique, de tester les soignants, les personnes fragiles réunies dans des établissements dès lors qu'un ou deux cas apparaissent. L'OMS a modifié ses recommandations, probablement en se fondant sur la pratique coréenne ou chinoise, et nous avons évolué à sa suite. Il n'y a donc pas de contradiction.

L'OMS a rappelé sa doctrine concernant les masques le lundi 30 mars 2020, par la voix du docteur Mike Ryan, directeur exécutif pour les programmes d'urgence : « Il n'y a pas de preuve suggérant que le port du masque par l'ensemble de la population ait un effet bénéfique. Ce serait même plutôt le contraire à cause des mauvaises utilisations. » « En outre, il y a un risque de pénurie globale. À l'heure actuelle, les personnes les plus exposées sont les professionnels de santé », a-t-il ajouté. Nous ne sommes donc pas en contradiction avec les recommandations de l'OMS ; au contraire, nous nous inscrivons dans leur logique. Le moment venu, on discutera de la façon dont elle a géré la crise, et les responsabilités de chacun seront sans doute évoquées.

La gestion des stocks de masques telle qu'elle a été formulée par les membres du Gouvernement n'a rien de contradictoire. Là aussi, on discutera sans doute des choix qui ont conduit à diminuer le nombre des réserves, mais il est vrai que nous avons engagé cette crise sanitaire avec plusieurs dizaines de millions de masques en réserve – 117 millions plus 40 millions de masques pédiatriques. Constatant que nous ne pourrions pas nous approvisionner dans des conditions normales sur le marché chinois, nous avons très tôt augmenté progressivement la production nationale, et commandé des masques FFP2 dont nous ne disposions pas en stock – entre 2011 et 2013, la doctrine avait changé et les masques FFP2 devaient être conservés dans les entreprises et chez les employeurs. Nous avons donc augmenté les capacités nationales de production, cherché des masques à l'étranger et réquisitionné, le 3 mars, la production et les stocks nationaux. De fait, nous nous sommes rendu compte progressivement que la surconsommation de masques était considérable là où l'épidémie sévissait, et nous avons estimé que notre consommation hebdomadaire serait bien supérieure à celle que nous connaissions en période normale de grippe. Il fallait donc garantir l'approvisionnement en masques des personnes qui en ont le plus besoin, et constituer des stocks gérés dans la durée, c'est-à-dire en les réservant aux personnels soignants et à la médecine de ville, en limitant les vols ou la diffusion des masques en dehors des cibles recherchées – des phénomènes que l'on a pu déplorer au tout début. Nous avons ensuite cherché à augmenter la production nationale et à créer un approvisionnement international grâce à l'aide de collectivités territoriales, d'entreprises privées et bien évidemment à la massification des commandes de l'État. En la matière, donc, il n'y a pas eu de déclarations contradictoires.

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