Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Vous estimez, monsieur le président Vigier, que je me tiens en retrait sur la question du tracing. J'ai pourtant réaffirmé le cadre juridique auquel nous devons être attentifs et dans lequel devront pleinement s'inscrire les dispositions qui pourraient, le cas échéant, être prises. Vous me demandez si je partage les options de la présidente de la CNIL. Parce que cette dernière est extrêmement attentive aux libertés individuelles – c'est l'objet même de ses fonctions –, je suis évidemment en lien très étroit avec elle.

Enfin, je n'ai pas dit qu'il faudrait forcément passer par la loi pour instaurer un tel dispositif, mais que toute dérogation au principe de l'anonymat des données collectées nécessiterait une loi. Or j'ai indiqué qu'il me semblait impératif de respecter ce principe. Cela n'exclut nullement un débat au Parlement, quelle qu'en soit la forme : sur un sujet comme celui-ci, dont la portée dépasse le simple champ juridique, il me semble important que les élus de la nation soient associés.

Vous avez ensuite évoqué des « tensions » dans le monde pénitentiaire. Nous avons tout fait pour les prévenir, en prenant en amont des dispositions pour que la situation à laquelle nous sommes confrontés depuis quelques semaines soit anticipée. Ainsi, si des mouvements ont effectivement fait suite à la suspension des parloirs – celui qui a eu lieu dans l'établissement d'Uzerche, auquel vous faites référence, fut le plus virulent – aucune tension de ce type n'est plus, depuis environ deux semaines, observée dans les établissements pénitentiaires. S'il convient de rester très humble et modeste en la matière, cet état de fait me semble en partie lié au travail préparatoire fourni par les personnels de l'administration pénitentiaire.

S'agissant des masques, j'affirme très clairement que j'ai pu en fournir à tous les personnels surveillants de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse qui sont en contact avec les détenus. Je dote également les tribunaux afin qu'ils puissent utiliser des masques dans certaines situations. En revanche, je ne suis pas en mesure d'équiper en masques tous les personnels relevant de mon administration ni tous les magistrats, malgré les acquisitions et les productions en cours. Je rappelle d'ailleurs que l'essentiel est de respecter les gestes barrières. C'est ce que nous tentons de faire, tout comme nous avons pris des mesures de confinement de détenus lorsque cela s'est avéré nécessaire.

Madame la députée Panot, vous évoquez les dispositions dérogatoires qui, selon vous, auraient fait sortir la France de l'État de droit. Je ne partage pas du tout votre analyse : les juridictions continuent à fonctionner, les recours restent possibles et les droits des parties sont préservés.

Nous avons certes, pour ce qui est de l'examen des QPC, offert une souplesse en permettant de dépasser le délai de trois mois habituellement applicable, mais le Conseil constitutionnel peut parfaitement statuer quand il le peut et quand il le veut : rien ne le lui interdit.

Quant aux décisions susceptibles d'être prises sans entendre les parties, il s'agit par exemple des renouvellements d'ordonnances de protection pour les femmes victimes de violences conjugales : nous n'avons offert cette possibilité que lorsque nous considérions qu'elle s'exercerait au bénéfice de la partie concernée. De la même manière, lorsque nous prorogeons des mesures relatives aux mineurs et arrivant à échéance, c'est parce que nous considérons que la protection des enfants doit l'emporter.

Monsieur Peu, vous demandez comment nous pouvons nous assurer du maintien des signalements de violences faites aux enfants et de leur prise en compte. Nous menons, avec Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, un travail en ce sens, notamment sur les différents lieux de signalement, et nous avons introduit dans les ordonnances des instructions visant à permettre la prise en charge des enfants en danger par le biais de mesures d'assistance éducative. Nous avons maintenu la répression pénale des auteurs de violences intrafamiliales. Ce contentieux, qui fait partie des contentieux prioritaires devant impérativement être traités augmente d'ailleurs proportionnellement aux autres contentieux, puisque ces derniers diminuent – et notamment celui de la voie publique, qui constitue habituellement la masse de nos contentieux et a, par définition, presque totalement disparu dans la période actuelle. Nous avons également maintenu la saisine du juge des enfants afin de pouvoir placer en sécurité tout enfant qui est en danger.

Vous m'interrogez en outre sur la prise en considération de l'enfant en tant que sujet de droit. Le système que nous avons construit pour gérer cette période transitoire respecte les droits des parents et des enfants : d'abord, le renouvellement d'une mesure éducative sans audience n'est possible qu'à la double condition que l'accord de l'un des parents ait été recueilli et que l'autre n'ait pas manifesté son désaccord ; d'autre part, nous ne remettons nullement en cause la règle fondamentale prévoyant que l'enfant capable de discernement soit entendu. Nous ne l'avons pas reprise dans la situation transitoire actuelle, mais elle n'est pas annihilée. L'enfant peut donc parfaitement être entendu.

Madame Lazaar, je viens de répondre s'agissant des enfants. En ce qui concerne les femmes victimes de violences conjugales, comme j'ai eu l'occasion de le dire hier devant l'Assemblée nationale, au-delà des dispositifs de signalement, qui ont été renforcés, le juge est naturellement toujours présent pour prononcer des ordonnances de protection ou pour traiter les affaires au pénal. Nous continuons, dans la période actuelle, de chercher à assurer l'effectivité des décisions, notamment celles d'éviction du conjoint violent, élément essentiel. À cette fin, vous le savez, Marlène Schiappa et moi-même avons créé une plateforme qui permet, en lien avec nos partenaires habituels, de recenser les logements disponibles dans toute la France et, dans le cas où aucun ne serait trouvé, de réserver des nuitées d'hôtel dont le coût est pris en charge par l'État. Vingt-quatre heures après son lancement, qui a eu lieu lundi, cette plateforme avait déjà traité dix demandes émanant de différents départements ; c'est dire son utilité. Au total, nous essayons d'être innovants pour continuer de protéger les droits des femmes et des enfants.

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