Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur Ciotti, je ne partage pas vos propos, pour plusieurs raisons. D'abord, la diminution de la population carcérale, de 8 136 détenus par rapport à la date du 16 mars, résulte pour moitié du tarissement du « flux entrant » – si vous me permettez l'expression – en conséquence de la réduction du nombre de contentieux. Pour donner un ordre d'idée, le nombre de personnes entrant chaque jour en détention, qui était de 250 à 300, est désormais de 60 à 70. Quant à l'autre moitié, elle est composée de détenus sortis de prison avant la fin de leur peine en application des ordonnances que nous avons édictées, c'est-à-dire de personnes qui auraient fini de purger leur peine deux mois plus tard et auraient donc été libérées vers le 15 juin. Cet élargissement est en outre subordonné à deux autres conditions : disposer d'un logement, car nous ne pouvions nous permettre, en période de confinement, de mettre dehors des détenus qui n'en auraient pas, et n'avoir été condamné ni pour terrorisme, ni pour des actes criminels, ni pour des faits de violence intrafamiliale. Cette situation appelle d'ailleurs notre attention, dans le sillage de la loi de programmation et de réforme pour la justice, sur l'inefficience des très courtes peines, qui concernent de nombreux détenus.

Au sujet de la menace terroriste, vous avez fait référence à un article paru ce matin dans Le Point. Je le dis très clairement : les chiffres qui y sont cités sont parfaitement inexacts. Il est même irresponsable de diffuser de telles informations. Il n'y a pas 130 détenus condamnés pour des faits de terrorisme ou radicalisés qui sont sortis prématurément de prison. Depuis le 27 mars, ce sont 25 détenus reconnus comme radicalisés qui ont été libérés, mais pour des raisons normales, parce qu'ils arrivaient en fin de peine pour une part importante d'entre eux.

Quant aux deux personnes qui étaient en détention provisoire à la suite de l'attentat de Strasbourg, elles ont été placées sous contrôle judiciaire du fait de décisions prises par les magistrats eux-mêmes.

Il n'y a plus aujourd'hui que 64 439 personnes dans nos prisons, soit beaucoup moins qu'avant le 16 mars. Je profite de l'occasion pour préciser à l'intention de M. Peu qu'il y avait, avant cette date, 855 mineurs en détention, dont 80 % en détention provisoire, et qu'il n'y en a plus que 680.

Monsieur Barrot, je l'ai dit, j'ai chaque semaine au téléphone les greffiers et les présidents des tribunaux de commerce ainsi que les administrateurs et mandataires judiciaires. Nous dialoguons beaucoup afin de permettre aux tribunaux, même physiquement fermés, de continuer de traiter les affaires urgentes. C'est précisément le but des ordonnances que nous avons prises. Il s'agit, en résumé, que les entreprises en difficulté puissent bénéficier de l'ouverture des procédures collectives lorsque cela apparaît nécessaire et que les salariés restent payés. Quant à la question de la conciliation, elle a été soulevée il y a quelques jours. Je travaille en ce sens avec le directeur des affaires civiles et du sceau et les responsables des tribunaux de commerce, car cette voie très intéressante mérite d'être explorée.

En ce qui concerne la guerre entre modèles politiques, je vous rejoins entièrement, monsieur Vallaud : nous devons démontrer ensemble qu'une démocratie comme la nôtre peut encaisser le coup d'une telle crise sanitaire. C'est essentiel : il y va de la pérennité de notre modèle. C'est aussi un élément de la démocratie que le principe d'égalité. Tel est l'enjeu de votre interrogation sur l'application hétérogène des instructions données dans la période actuelle.

Sur la notion de contentieux essentiels, nous avons diminué l'activité des juridictions, en les plaçant sous le régime des plans de continuation d'activité – PCA –, qui permet de traiter certains contentieux, notamment les comparutions immédiates, que la dangerosité des prévenus et la protection des victimes peuvent rendre nécessaires, et les violences familiales qui touchent le conjoint ou les enfants.

Vous me dites qu'il y a des applications différentes : c'est vrai, et cela tient au fait qu'il n'y a pas de PCA unique pour tous les tribunaux. Entre le tribunal judiciaire de Créteil et celui de Mont-de-Marsan, la situation diffère, car ils ne gèrent pas le même type d'affaires et de contentieux, et ne disposent pas des mêmes ressources humaines ; il est donc logique que les chefs de juridiction déploient des approches adaptées aux caractéristiques de leur tribunal. Ils peuvent, et c'est heureux, privilégier – notamment dans les contentieux civils car les choses sont plus claires pour les contentieux pénaux – une application particulière du PCA, en fonction des ressources humaines dont ils disposent et du stock des affaires à traiter.

Je n'ai pas parlé à M. Ciotti des crédits de réduction de peine de deux mois, ayant concentré ma réponse sur la libération des détenus n'ayant plus que deux mois de peine à effectuer, mais ce dispositif existe bien et consiste en une réduction de deux mois de la peine de détenus s'étant bien comportés pendant la période d'urgence sanitaire. La logique est d'accorder ce crédit à la fin de l'état d'urgence sanitaire, puisque celui-ci a vocation à récompenser les attitudes responsables durant la période que nous traversons. Un détenu se trouvant à trois mois de sa libération pourra sortir s'il obtient ce crédit, à la condition d'avoir un logement et de répondre aux critères que nous avons édictés. Il appartiendra au juge d'application des peines, dont les décisions sont soumises au principe de l'individualisation, de trouver une solution adaptée à chaque cas.

Monsieur Becht, je ne suis pas en mesure de répondre techniquement à vos questions sur le tracking ; par exemple, je ne connais pas l'efficacité du volontariat en la matière. La démocratie, ce sont, entre autres, des procédures qui garantissent des libertés et des protections. C'est parce que nous sommes en démocratie que j'ai pu énoncer les deux principes et les cinq règles qui entoureront les décisions qui pourront éventuellement être prises. En outre, les procédures démocratiques emportent l'existence de recours contentieux, qui constituent une garantie pour une mesure prise provisoirement. Voilà pourquoi il m'a semblé important d'en faire mention tout à l'heure.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.