Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean-François Delfraissy :

Je vais m'en tenir aux points qui n'ont pas encore été abordés.

Le Conseil scientifique lui-même n'est pas directement impliqué dans les aspects thérapeutiques ; c'est plutôt le CARE qui est en liaison avec la recherche. Toutefois, la recherche étant mon métier initial, je peux donner une réponse à titre personnel.

Énormément de stratégies thérapeutiques sont en train d'être testées, en France, en Europe, aux États-Unis. Mais on tire assez peu de leçons, en la matière, de ce qui a été fait en Chine. Ils ont eu beaucoup de patients à Wuhan et y ont mené pas moins de quatre-vingt-douze essais thérapeutiques, mais les chercheurs ont fait comme ils ont pu, pris par la crise, et il est délicat d'en tirer une conclusion. La recherche, en temps de crise sanitaire, doit rester solide, et une recherche solide s'appuie sur une méthodologie solide.

Teste-t-on de nouvelles molécules ? Oui. L'une d'entre elles, développée par les laboratoires Gilead, pourrait avoir une certaine forme d'activité, mais je ne me prononce pas : pour l'instant, je considère qu'aucun médicament n'a fait la preuve de son efficacité. D'autres molécules, de type antiviral, issues du VIH, sont explorées. L'hydroxychloroquine, bien sûr, est en cours d'évaluation, ni plus ni moins que les autres médicaments, de même que l'association entre l'hydroxychloroquine et l'azithromycine. Et il existe encore d'autres molécules, d'autres pistes. De très nombreux essais thérapeutiques sont en train de débuter.

Mais encore faut-il savoir quelle forme d'efficacité on recherche. Je m'arrêterai sur plusieurs points.

Premièrement, comment teste-t-on l'effet thérapeutique d'une molécule sur le Covid ? Autrement dit, comment teste-t-on un bénéfice dans une maladie dont on guérit spontanément dans plus de 88 % des cas ? Si l'on teste le médicament sur des personnes qui, de toute façon, guériront spontanément, cela ne veut rien dire. L'enjeu est donc de savoir quelles sont les personnes qui vont développer une forme grave. Or on n'a pas trouvé de marqueurs individuels : parmi vous tous, on ne sait pas qui va développer une forme grave ou pas. On sait simplement qu'il y a des marqueurs populationnels, que ce sont les personnes plus âgées ou vulnérables qui risquent le plus de développer une forme grave et surtout d'en décéder.

Deuxièmement, devant une forme sévère, dispose-t-on d'un médicament qui empêche de passer à une forme grave ? Prenons un patient hospitalisé, dont le scanner thoracique montre déjà des atteintes importantes : existe-t-il une molécule qui l'empêche de basculer vers le passage en réanimation ? Voilà la bonne question, et, pour l'instant, nous n'avons pas de réponse.

Troisièmement, quand on analyse les cas un peu sévères – c'est de la physiopathogénie – on a l'impression que le virus n'a plus grand-chose à faire mais qu'il a entraîné une réaction inflammatoire massive, une sorte d'orage inflammatoire : on mesure des CRP (protéine C-réactive) à 500 – habituellement, un biologiste ne voit jamais cela –, avec de nombreuses petites molécules inflammatoires dans le sang et le poumon. Plusieurs initiatives sont donc lancées en France avec des médicaments qui pourraient bloquer cette réaction inflammatoire. L'objectif, en l'occurrence, n'est pas de lutter contre le Covid, mais d'éviter la mortalité liée à ses formes graves.

Vous voyez donc que différentes stratégies de recherche coexistent. Et il y en a une quatrième, à laquelle personnellement je crois plus, si je dois me mouiller ce soir : celle d'un médicament à l'activité réelle mais pas massive, qui serait donné dans une optique de prévention. On sait, en infectiologie, qu'un médicament qui a une efficacité modérée sur la maladie, s'il est donné à titre préventif, peut suffire pour éviter de contracter cette maladie. Vous imaginez que, si nous avions un tel médicament, avec une action de prévention totale ou même partielle, nous pourrions protéger les 17 millions de Français les plus à risque dont je parlais tout à l'heure.

Voilà les grands enjeux stratégiques. Quand aurons-nous les premiers résultats ? Sur les médicaments traitant l'inflammation des formes graves, les traitements immunomodulateurs, nous aurons sans doute des résultats partiels très vite, dès le courant de la semaine prochaine, car plusieurs centaines de patients en France ont été traités par ce type d'approche. En revanche, sur les médicaments qui traitent le Covid lui-même c'est-à-dire les antiviraux, les essais internationaux qui sortent ne sont pas bouleversants pour l'instant. Dans les comparaisons entre les molécules dont je vous parlais, l'essai franco-européen avec l'OMS (Organisation mondiale de la santé) pourra donner ses premiers résultats dans la première quinzaine de mai.

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