Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 9h20
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon, rapporteur :

Je viens ici avec un sujet bien connu de cette commission, qui compte dans ses rangs des personnes expertes du domaine. À la vérité, le sujet n'est pas neuf, il est l'un de ceux parmi les plus présents dans nos permanences et les plus évoqués en ville et dans les circonscriptions urbaines. Le droit au logement est, en effet, régulièrement proclamé et répété sur tous les tons, par tous les gouvernements mais on peut dire, en usant d'un euphémisme, que l'on n'en voit pas très bien les résultats. Nombre de personnes sont très étonnées d'apprendre que c'est un droit inscrit dans la Constitution, répété ici et là, parce que ce n'est pas ce qu'elles vivent. Au contraire, les rapports que nous recevons sur le sujet sont toujours consternants, et souvent très émouvants quand ils citent des exemples particuliers.

Chaque année, la fondation Abbé Pierre dresse un bilan qui nous consterne tous, quelles que soient nos opinions et nos engagements. Cette année, elle nous permet de comprendre que ce que nous avons vécu, nous autres à Marseille, le 5 novembre 2018, avec l'effondrement de deux immeubles, n'est pas une réalité réservée à la seule ville de Marseille et à sa population. Selon la fondation Abbé Pierre, quatre millions de personnes sont dans une situation de précarité de logement, 900 000 personnes sont privées de logement personnel et placées dans des situations ubuesques, comme ces jeunes adultes de vingt-cinq ans contraints de retourner vivre avec leurs parents. On dénombre 500 000 jeunes dans ce cas.

L'habitat indigne, qui a proliféré dans tout le pays, sera bientôt le lieu d'une conjonction de crises : non seulement l'habitat est indigne et les personnes y vivent une vie d'enfer mais, avec le changement climatique et le déversement de trombes d'eau dans certaines régions du pays, cet habitat indigne, qui est souvent des plus fragiles, devrait être le premier à s'écrouler. Vous verrez bientôt que ce ne sera pas qu'une spécialité de la ville de Marseille où, en effet, l'habitat indigne est particulièrement nombreux dans la mesure où il a bénéficié de protections de toutes sortes, elles aussi indignes.

J'ai cité la fondation Abbé Pierre. Je pourrais citer, plus accablant parce que cela nous pince en tant que Français, la rapporteuse spéciale de l'ONU, s'étonnant de la situation du logement en France, ce pays qui compte parmi les premières puissances mondiales, les toutes premières quant à la richesse accumulée. Son rapport pointe notre pays, et c'est toujours à regret que nous lisons ces phrases selon lesquelles, puissants comme nous le sommes, ce ne devrait pas être le cas. Je la cite : « [La France] doit maintenant veiller à ce que le droit au logement soit respecté, en particulier face à la montée du sans-abrisme ». Ou encore : « La France étant la sixième économie mondiale, il est inacceptable que le sans-abrisme ait atteint des proportions de crise et que de nombreuses personnes meurent dans la rue ». Elle conclut en disant combien elle est inquiète de la financiarisation du logement en France.

Permettez à un insoumis de vous dire que, pour notre part, nous situons dans la financiarisation du logement les causes essentielles de la crise que nous vivons. En ce domaine, les chiffres explosent sans aucune ambiguïté.

Tout d'abord, au contraire de toutes les autres « fournitures » qui étaient faites à la population de notre pays comme, par exemple, les fournitures alimentaires dont les prix ont baissé d'une manière considérable au cours des trente dernières années – et l'on peut dire que la paysannerie de notre pays a payé le mieux-vivre du salariat –, le logement, qui est une autre dépense contrainte et incontournable des familles, a connu une évolution de ses prix très considérable. Si, entre 2000 et 2009, la richesse du pays a progressé de 14 %, si les profits ont progressé de 17 %, les profits immobiliers ont, eux, augmenté de 60 % !

Dans certaines villes, comme vous le savez, la situation nous conduit à rappeler à tout le monde que les arbres ne peuvent pas pousser jusqu'au ciel, même si certains ont l'air de le croire. Que les prix, à Paris, aient augmenté de 350 % en dix ans permet de comprendre aussi pourquoi, alors que le salariat employé et ouvrier représente 50 % de la population active du pays, il correspond à peine à 4,5 % des accédants à un logement dans la capitale. Je cite la capitale non pour en faire un centre du monde, mais comme l'exemple abouti des dérives de la situation que nous vivons.

Dès lors, les phénomènes sociaux d'exclusion et de sécession se sont multipliés. Ils ne sont pas conformes à l'esprit français, empreint d'une certaine bonhomie égalitaire qui fait que, des générations durant, les milieux sociaux se sont certes toujours un peu séparés, mais pas au point d'atteindre l'état de sécession que nous observons. Le nombre des cités fermées se multiplient : celles des pauvres, en sécession et abandonnées par l'État, et celles des riches, s'enfermant derrière les barrières de cités privées, qui se multiplient. Il en existe, bien sûr, plusieurs à Marseille, il en existe aussi plusieurs ici, à Paris. Nous l'analysons comme un signe de mauvaise santé de la mixité sociale de la patrie.

Que proposons-nous pour y remédier ?

Nos propositions sont naturellement des solutions dont on imagine qu'elles ne conviennent pas à tout le monde, puisqu'elles partent de présupposés idéologiques et matériels qui sont souvent l'inverse de ce que d'aucuns parmi nous soutiennent depuis des années. Nous leur ferons observer, amicalement, que le résultat des politiques qui se sont succédé, qui ont toujours été plutôt favorables à la propriété qu'à la location, a été assez désastreux. Il est celui que je viens de vous présenter.

Nous proposons donc de passer d'un droit formel à un droit réel et, pour ce faire, nous présentons des mesures qui, bien sûr, ont un caractère drastique que je n'ai pas l'intention de sous-estimer, mais qui s'efforcent de répondre à l'insupportabilité de la situation. Tant de gens dehors, tant de gens mourant dans la rue, tant de gens dans un habitat indigne, tant de gens vivant dans des conditions de promiscuité absolument insupportables ! Tout cela nécessite une vigoureuse reprise en main de la situation.

Pour ce qui est d'interdire les expulsions sans relogement, vous le comprenez, l'objectif essentiel n'est pas tant d'interdire les expulsions que d'obliger au relogement – et, donc, de ne pas accepter la situation qui consiste à pousser des gens dans la rue en s'en remettant ensuite aux circonstances pour qu'ils trouvent une solution. Cela nécessite qu'un droit nouveau soit ouvert, qui garantisse à chacun le respect de sa propriété et de ses investissements.

Nous proposons, par conséquent, l'instauration d'une sorte de sécurité sociale du logement, la cotisation de tous permettant d'offrir une garantie universelle des loyers. À partir de là, s'enclenche un cycle vertueux qui libère les locataires de l'obligation de trouver un répondant personnel, ce qui d'ailleurs met souvent les familles dans l'embarras. Puis, le cercle vertueux se poursuivrait puisque, dès lors, les personnes logées hors d'état de payer leur loyer ne seraient plus maîtres de la situation et, grâce à cette garantie universelle, l'autorité de l'État pourrait intervenir librement afin d'obliger à leur relogement et à leur déplacement.

Il revient à l'État de décider où s'applique le permis de louer, de manière à soustraire cette autorisation aux arrangements locaux et aux amitiés coupables qui peuvent, conduire, pour utiliser un euphémisme, à des moments de cécité ou de bienveillant aveuglement, à l'égard de ces situations insupportables. L'État pourrait ainsi reprendre la main quand les communes se mettent hors la loi. De la même manière, il n'est pas juste que certains préfèrent payer les amendes plutôt que d'avoir des logements sociaux dans leur commune. Il n'est pas plus acceptable que d'autres aient trouvé des astuces aussi lamentables que d'étendre, en réunissant plusieurs communes au sein d'une métropole ou d'une agglomération, l'évaluation de la proportion de logements sociaux à l'ensemble ainsi constitué. Cela ne fait qu'aggraver la sélection et la ségrégation sociale.

Il s'agit, enfin, de faire nation commune : 30 % de logements sociaux dans toutes les communes urbaines et une taxe sur les hautes transactions immobilières permettraient de financer la lutte contre les logements indignes.

Il me reste quatre ou cinq minutes pour vous résumer le contenu des articles de la proposition de loi et vous dire qu'après les auditions que nous avons tenues, j'ai été conduit à proposer l‘ajout d'articles additionnels.

S'agissant de la sécurité du logement, l'article 1er propose d'interdire le concours de la force publique représentant la légitimité de la loi et de l'État pour expulser quelqu'un s'il n'y a pas eu de proposition de relogement, afin de ne pas expulser les locataires en les laissant se débrouiller seuls par la suite.

L'article 2 crée une garantie universelle des loyers pour permettre, ainsi que je viens de vous le dire, le maintien dans le logement des personnes qui ne peuvent plus payer de loyer tout en respectant les droits du propriétaire.

L'article 3 supprime le système des cautions privées, qui n'a plus lieu d'être dans le cadre d'une garantie universelle des loyers.

Le deuxième ensemble d'articles est constitué de propositions visant à stopper la spéculation et la ségrégation.

À cette fin, la proposition de loi encadre tout d'abord les loyers. L'article 4 instaure un encadrement des loyers partout, et un surencadrement des loyers dans les grandes agglomérations, qui vise à faire baisser ces loyers jusqu'à 20 %. L'encadrement proposé peut paraître assez spectaculaire, je précise qu'il est en oeuvre à Berlin et que les Berlinois n'ont pas l'air de s'en porter plus mal – tout au contraire, puisque les loyers sont en baisse !

La proposition de loi renforce également les obligations de construction de logements sociaux. L'article 6 porte le quota minimum de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants à 30 % du parc de logements.

L'article 7 transfère automatiquement au préfet la délivrance des permis de construire qui, pour l'instant, sont de la compétence du maire lorsque la loi – je dis bien « lorsque » – n'est pas respectée en matière de construction de HLM. Il ne s'agit pas de supprimer la décision de permis de construire des maires, mais de ne le faire que si la loi est violée délibérément, parce que sur des décisions d'aussi longue portée que celle du logement, c'est toujours délibérément que la loi est violée.

Pour éradiquer les logements indignes, puisque tout le reste n'a pas fonctionné, il faut user de la contrainte. L'article 5 rend obligatoire un permis de louer dans toutes les zones répertoriées comme ayant un nombre élevé de logements indignes et désignées par le préfet du département, pour qui cette connaissance est tout à fait possible.

Pour éradiquer les logements indignes, il faut également de l'investissement public. C'est la raison pour laquelle l'article 8 crée une taxe sur les transactions immobilières de très haut niveau financier, en vue de financer l'Agence nationale de l'habitat.

J'en viens aux amendements du rapporteur résultant des auditions que j'ai menées.

Le premier supprime le bail mobilité. J'en suis désolé pour mes collègues de La République en Marche. Je pense, collègues, que vous vous êtes trompés. Le bail mobilité n'a fait qu'aggraver la situation des pauvres gens qui voient leur droit à vivre dans leur logement devenir une sorte de monnaie fluide.

Le deuxième tend à supprimer les congés pour vente. Là encore, décider que l'on expulse son locataire sans attendre l'exécution du bail parce que l'on doit vendre son bien est une mesure qui déséquilibre totalement les rapports entre propriétaires et locataires.

L'amendement suivant vise à éviter la mutualisation intercommunale des quotas imposés par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Je viens de l'évoquer, il s'agit de refuser que l'on décide de concentrer tous les logements sociaux à un endroit et de continuer à ne rien faire dans l'autre.

Enfin, le dernier supprime de la comptabilisation pendant dix ans dans les quotas SRU des logements sociaux vendus. Là encore, je vais faire de la peine à mes collègues de la majorité mais, que voulez-vous, vous avez un peu exagéré : vendre des logements sociaux qui continuent d'être considérés comme des logements sociaux pendant dix ans dans la comptabilité, cela s'appelle de la publicité malhonnête, car ce n'est pas vrai : ce ne sont plus des logements sociaux. D'ailleurs, ceux qui, comme moi, sont élus de grandes agglomérations urbaines le savent, les logements qui se vendent sont les beaux morceaux ! Ils se vendent finalement relativement cher et donnent lieu à une revente extrêmement aisée. Les premiers acquéreurs sont bien heureux mais, ensuite, très rapidement, le quartier change complètement de nature. La « boboïsation » intervient en très peu de temps. Puis, après les bobos, viennent les très riches et, avec eux, la fin de toute vie sociale.

Voilà l'essentiel de ce que j'avais à vous dire. Je vous remercie de m'avoir écouté, sinon entendu.

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