Intervention de Véronique Delmas

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Véronique Delmas, directrice d'ATMO Normandie :

Je crois qu'on a déjà bien avancé sur le sujet. La question qu'il faut se poser est : Quelle mesure pour quelle information ? Classiquement, les mesures effectuées en cas d'incendie incombent aux pompiers. Elles permettent d'évaluer le risque pour les intervenants et aussi le risque aigu, en se référant à des seuils de toxicité aiguë pour la population. À ce stade, ce sont les effets irréversibles qui sont pris en compte. Les concentrations inférieures aux seuils de toxicité aiguë sont généralement moins bien documentées.

Comme l'a dit M. Robin, cela peut nourrir l'incompréhension du grand public. Alors qu'on est officiellement en dessous des seuils irréversibles, la population ressent des effets sur sa propre santé. C'était le cas pour Lubrizol, qui a donné lieu à de nombreux signalements de santé de type nausées, vomissements, maux de tête, irritations oculaires, etc. Il semble évident qu'il faut pouvoir renseigner sur les polluants qui pourraient être à l'origine de ce type d'effets sur la santé.

Ayant la légitimité pour apporter des réponses, nous sentons que nous sommes attendus sur ce sujet. Notre métier de base porte sur la pollution chronique, mais nous cherchons à documenter au mieux les situations accidentelles, dans la limite de nos moyens, pour apporter les réponses attendues.

Que fait-on lorsqu'on est confronté à un incident, un accident, un incendie ? D'abord, on examine l'information que peuvent livrer les mesures permanentes. Dans nos stations de mesure, nous disposons en effet d'instruments permettant, par exemple, de mesurer la densité de particules en suspension. Si un panache de fumée se déplace dans la direction de la station de mesure, il peut arriver qu'elle renseigne directement sur les niveaux d'exposition. Mais ce n'est pas toujours le cas.

En l'occurrence, dans le cas de l'incendie de Lubrizol, aucune station de mesure ne se situait directement dans le panache. Les instruments de mesure permanents n'ont donc pas pu apporter de renseignements. Vous voyez ainsi quel intérêt il y aurait à compléter le dispositif le plus rapidement possible, de façon à disposer, au bon endroit, des informations les plus pertinentes possibles.

Sans entrer dans le détail – la question est très compliquée –, pour faire une mesure, il faut savoir ce qu'on veut mesurer. Or on n'a pas de méthode universelle pour tout mesurer. Je crois que cela a été montré dans le cas de l'eau. Il en va de même dans le cas de l'air. Si vous ne savez pas ce que vous devez mesurer, cela complique beaucoup les choses, parce que vous ne savez pas non plus comment effectuer des prélèvements. C'est le premier problème. Il est donc important d'avoir une première idée de ce qu'on veut mesurer.

Un travail en amont doit permettre de définir ce qu'on est susceptible de devoir mesurer. Nous avons entrepris de le faire au niveau d'un groupe de travail, dans le cadre de l'instruction du 12 août 2014, qui faisait suite à l'incident Lubrizol 2013. Cela a permis de faire avancer les lignes sur le recensement de substances qui pouvaient être odorantes, incommodantes ou toxiques. Atmo Normandie, AtmoSud et Atmo Auvergne-Rhône-Alpes ont participé à ce groupe de travail. Nous avons proposé des dispositifs pour effectuer les prélèvements voulus.

En première approche, nous avons proposé des systèmes de prélèvement d'air faisant appel à des bonbonnes qu'on appelle des canisters. Elles permettent de prendre un échantillon d'air et de l'envoyer ensuite le plus rapidement possible à un laboratoire pour analyses.

Un canister est un système de prélèvement à spectre large, mais il ne permet pas de faire toutes les mesures souhaitables. Néanmoins, cela a été mis en place dans le cas de Lubrizol, dans le cadre d'une convention que l'on avait signée avec le Service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime (SDIS 76). C'était la première convention de ce type en France. Cela a permis aux pompiers, qui sont en première ligne et munis d'équipements de protection individuelle, d'opérer des prélèvements, à la fois au niveau de la source et dans l'environnement. Ce système a fonctionné, puisqu'il nous a permis de disposer, dès le premier jour à 7 heures du matin, des premiers échantillons, qui ont été envoyés à l'INERIS, où des analyses ont été faites ultérieurement.

Nous avons donc pu disposer d'éléments grâce au retour d'expérience effectué après l'accident Lubrizol de 2013. Encore faut-il ajouter que les prélèvements ont livré des mesures de la densité en composés gazeux, mais non en particules, car ils ne sont pas adaptés à cela. Par exemple, les canisters ne permettent pas de mesurer les suies. D'autres types de composés ne seront pas bien préservés dans le canister.

Notre partenariat avec le SDIS 76 est donc important. Je redis que, outre le fait que les pompiers sont très rapidement sur le sinistre, ils sont dotés, pour faire ce genre de prélèvements, d'équipements de protection individuelle.

Ensuite, des moyens plus lourds ont été installés. Neuf heures après le début du sinistre, nous avons installé une station de mesure mobile dans le service technique d'une mairie. Des mesures automatiques permettaient de disposer très rapidement de données complémentaires. Nous avons aussi installé des systèmes de prélèvement des pluies, dans la continuité du panache, après 12 heures. Cela a permis de disposer d'informations sur l'eau de pluie, en y mesurant d'autres types de composés.

Il est possible d'aller plus loin encore pour ce type de prélèvements. En particulier, l'instruction du 12 août 2014 n'évoque pas les incendies. Le dispositif n'a pas été conçu pour des prélèvements liés à des composés d'incendie. Il y a donc toute une réflexion à mener sur cette question. En tout état de cause, si l'on devait recueillir des échantillons conservatoires pour les incendies, il faudrait réfléchir à d'autres systèmes que les canisters. Des systèmes de prélèvements de suies, par exemple, permettraient de recueillir les informations attendues.

Nous avons fait des mesures pour documenter l'environnement et pour apporter des informations aux modélisateurs, de façon qu'ils puissent, sur cette base, travailler sur l'exposition aux risques. Une mesure doit absolument être référencée en termes géographiques par rapport à la représentativité de l'événement. La mesure ne peut en effet être exploitée que par rapport au moment et au lieu où elle a été effectuée. Un modèle permettant de disposer d'une vue d'ensemble est également indispensable.

De quoi avons-nous besoin pour faire progresser les choses ? Nous avons déjà beaucoup avancé, mais il y a encore beaucoup à faire. Nous avons besoin de données de référence. Lors de l'incendie de Lubrizol, nous avons accumulé beaucoup de mesures, mais nous manquons de références sanitaires et de données toxicologiques de référence. Nous disposons d'informations, mais nous ne savons pas quoi dire sur elles. Le manque de données de référence sanitaires et toxicologiques est beaucoup plus criant dans le domaine de l'air que dans celui de l'eau. C'est un vrai problème.

À défaut de mesures de référence sanitaires sur les polluants mesurés, il serait intéressant d'accumuler des éléments de référence historiques, en temps normal, hors crise. Cela permettrait au moins de comparer des données observées en temps de crise par rapport à des données hors temps de crise. Aujourd'hui, nous n'en disposons pas pour tous les polluants atypiques issus d'incendies ou d'accidents. Il est important de mener ce travail de mesure « à froid ».

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