Intervention de Hubert Leprond

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Hubert Leprond, responsable de l'unité Sites et sols pollués au BRGM, parleront de la pollution des sols résultant des crises à impact sanitaire et environnemental :

Au-delà des activités régionales, nous avons une équipe à Orléans dédiée à l'activité « sols et sédiments pollués ». Elle opère pour le compte de l'État, de manière transversale par rapport à nos directions régionales.

Nous avons travaillé sur l'accident d'AZF en 2001. Ce transparent indique les retours d'expérience sur des pollutions accidentelles plus récentes : les inondations à Nemours (77) en juin 2016, notamment avec les risques vis-à-vis des captages d'eau souterraine ; la fuite d'un camion de 1,6-dichlorohexane à Bourgoin-Jallieu (38) en 2016 ; plus récemment, en 2019, divers incidents sur des installations industrielles notamment : fuite d'un pipeline à Autouillet (78), rupture d'une canalisation à Roissy (95), incendie de Lubrizol (76). Nous en avons analysé les retombées et, partant, le risque de transfert vers les eaux souterraines.

Je passe sur les questions posées au BRGM sur des fuites ou déversements de cuves d'hydrocarbures, ainsi que sur les incidents plus classiques qui surviennent sur des installations industrielles. En effet, les méthodologies sont assez connues.

Nous nous appuyons sur les moyens humains du BRGM : le réseau territorial, soit environ 200 agents, géologues et hydrogéologues, y compris sur les risques naturels, environnementalistes ; les équipes d'Orléans, qui interviennent en appui, de manière spécialisée, sur certaines thématiques. Nous avons établi une liste d'agents volontaires susceptibles d'être contactés en cas de crise. Ils interviennent sur les thématiques du BRGM, notamment au titre des sites et sols pollués. Le retour d'expérience interne porte principalement sur des incidents nés des risques naturels. Nous avons des collègues fortement mobilisés à Mayotte et à la Réunion, où ils interviennent très régulièrement dès qu'il y a un affaissement, des éboulements, etc.

J'en viens aux moyens matériels dont nous disposons. Parmi les appareils de terrain, les détecteurs PID (détecteur à photo-ionisation) permettent de faire des mesures semi-quantitatives de composés volatils. Le PID livre un indice total, mais, s'il n'est pas bien réglé, il est impossible de savoir quels polluants il est en train de mesurer. Ces mesures s'effectuent quasiment toutes les secondes. Il ne détecte pas tout, mais c'est un premier appareil de terrain très utile dans notre domaine.

Les appareils à fluorescence X permettent de mesurer des métaux et des éléments sous forme de traces. Ces mesures s'effectuent toutes les 15 secondes à une minute, sur le terrain. Elles sont très utiles pour les composés inorganiques.

Les analyseurs de mercure Lumex nous permettent des quantifications très précises du mercure, en nanogrammes par mètre cube (ngm3). Les appareils sont très peu répandus : seuls l'INERIS et le Laboratoire central de la Préfecture de police de Paris (LCPP) en disposent aussi à ma connaissance.

Les appareils de micro-GC (chromatographie en phase gazeuse) permettent une quantification précise de composés volatils liés à des gaz du sol, plus qu'au sol en lui-même ou aux eaux souterraines. Eux non plus ne sont pas beaucoup répandus à l'heure actuelle. Au-delà des organismes publics comme l'INERIS, très peu d'entités, notamment d'entités privées, disposent de ce type d'appareillage. Les coûts sont en effet assez importants et il ne suffit pas d'effectuer l'analyse ou la mesure : il faut aussi toute une ingénierie pour interpréter le résultat.

Un laboratoire interne de chimie environnementale d'isotopie nous permet aussi d'identifier l'origine d'une pollution. J'entendais qu'il est parfois difficile de faire le départ entre ce qui est déjà présent et ce qui est lié à un incident. L'isotopie peut apporter une réponse à cette difficulté. Cela étant dit, on ne peut pas la pratiquer pour tous les composés. Des pistes sont cependant à creuser dans cette direction. Enfin, des laboratoires travaillent sur la caractérisation minéralogique, qui constitue pour ainsi dire notre ADN.

Quelles sont les perspectives d'amélioration ? Il faut distinguer la temporalité de court terme et de moyen-long terme, d'une part, et les chefs d'action, d'autre part. À court terme, on peut déjà améliorer les échanges entre les organismes et construire des protocoles de mesure communs. Nous intervenons sans avoir tous la même sensibilité. Certains vont gérer l'urgence, alors que le BRGM se penche plutôt sur les aspects chroniques ou, éventuellement, les effets de long terme, qui peuvent aussi être importants.

À court terme, il faudrait organiser des exercices de crise orientés sur la gestion des conséquences environnementales. Il devrait être possible de s'inspirer de l'action de nos collègues en matière de prévention des risques naturels ou dans le domaine des PPRT. Mais leur démarche est conçue par rapport aux populations, le volet des conséquences environnementales n'étant que peu ou pas pris en compte.

Il faut aussi se poser la question du développement de laboratoires de terrain, capables de réaliser des mesures fiables en temps réel. La tâche n'est pas facile, car les limites de quantification sont très faibles, de l'ordre du milligramme par kilogramme ou du microgramme par litre, et il y a des matrices que l'on ne connaît pas très bien – c'est vrai pour les eaux, les gaz du sol ou l'air, mais également pour le sol lui-même. À cela s'ajoute le fait que nous disposons d'assez peu de référentiels. Or, avoir des mesures est une chose, mais c'en est une autre que de pouvoir les comparer, pour savoir si le phénomène observé pose réellement un problème.

Prenons l'exemple du plomb qui s'est dispersé à la suite de l'incendie de Notre-Dame. Certes, il y a eu des retombées de plomb, mais le plomb n'était-il pas déjà présent du fait d'autres activités, notamment de la circulation et du transport, ou des remblais qui ont été dispersés sur l'ensemble de la zone ? C'est une vraie question.

D'autres pistes, comme le développement d'outils de terrain, peuvent être évoquées. Ces outils peuvent être embarqués. Ainsi, nous travaillons beaucoup sur les drones. Embarquer des capteurs sera la prochaine évolution pour évaluer des retombées de poussières, et peut-être aussi pour examiner d'un peu plus près ce qui se passe, au niveau des gaz par exemple, grâce à des caméras particulières. En couplant les mesures obtenues avec des outils informatiques, nous pourrons exploiter les données en masse et mieux travailler sur la modélisation.

On a parlé aussi des mesures de terrain. Ce qui est important, c'est de coupler la mesure de terrain avec des bases de données déjà connues, de façon à rapidement savoir, à partir de ces bases de données, s'il y a vraiment un problème à l'endroit de la mesure, ou non. La bancarisation de cette information est assez utile, elle permet aussi de conserver la mémoire, et de pouvoir revenir a posteriori sur l'une ou l'autre question, quand la situation est moins « chaude ».

Permettez-moi d'évoquer un dernier point. Avoir une démarche participative, c'est très bien. Mais, à propos de Lubrizol, j'ai entendu que les nombreuses remontées d'information ne pouvaient toutes être traitées. Il faut plutôt de la bonne information, sans la multiplier. Peut-être faut-il d'abord travailler sur la source et sur la façon de bien la caractériser, ensuite sur le panache de pollution et, éventuellement, sur la question de savoir si les mêmes substances se retrouvent en dehors du panache de pollution. C'est notre démarche au département des sites et sols pollués. Nous travaillons d'abord sur la source, puis sur les voies de transfert et sur les enjeux sous-jacents. Il s'agit à la fois d'être présent, mais aussi de prendre le recul nécessaire à la bonne décision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.