Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, président de l'Office :

A ce stade du débat, je dirai simplement que nous sommes, en France et en Europe occidentale, des sociétés à la fois techniciennes et réglementaires. Techniciennes, mais jamais aussi savantes, aussi abouties que ce que l'on souhaite, c'est vrai d'ailleurs d'un certain nombre de grands pays. Réglementaires : il suffit d'avoir construit quelque chose à un moment de sa vie, comme particulier, élu local, chef d'entreprise, patron d'une administration, pour savoir que « normalement, tout est prévu ». Un tel développement technique et réglementaire rend l'accident parfaitement insupportable pour l'opinion.

Je m'exprime en tant que parlementaire – sénateur aujourd'hui. Ce qui motive notre démarche, c'est justement cette attente de l'opinion. Nous devons nous interroger : la science et l'organisation administrative, qui sont deux choses différentes et très liées, sont-elles en mesure de diminuer de façon significative – je parle ici du volet prévention – le risque accidentel et d'établir le lien de confiance avec l'opinion dans la gestion de crise, lorsque le danger devient une réalité à travers un accident ?

Je pense que c'est une affaire continue et culturelle. Ce qui est désagréable n'est pas nécessairement dangereux et ce qui est dangereux n'est pas nécessairement désagréable. Le vin est très agréable et en effet dangereux.

Hier soir, un grand reportage traitait des élections municipales et de la qualité de l'air à Martigues. Le secteur de l'étang de Berre est une grande réussite industrielle en termes d'emplois, il assure le développement économique des Bouches-du-Rhône, mais avec des procédés industriels. Personne n'a envie de prendre son apéritif le soir lorsque la lumière s'adoucit et que la fraîcheur réapparaît, à l'ombre de la fumée de telle ou telle installation pétrochimique. En même temps, les gens ont envie de travailler et ont besoin de le faire.

Regardez AZF : 30 morts, des milliers de blessés, quelques jours après la tragédie du World Trade Center en 2001, dans une unité industrielle qui existait depuis plus de 80 ans. C'est un accident. La science d'aujourd'hui aurait-elle pu l'éviter, à travers les travaux de l'INERIS par exemple, dans une coopération avec AZF ? C'est l'objectif de l'Office parlementaire. AZF est une belle maison. On ne peut pas dire que ce sont des margoulins, des ferrailleurs qui gèrent des fûts de dioxine en les dissimulant aux regards. Ils ont pignon sur rue, ils ont dû recevoir, mon colonel, vos homologues locaux qui ont dû tout examiner. L'accident est malgré tout intervenu.

La question est donc : comment faire accepter par une opinion, qui a confiance dans la science ou qui risque de la perdre, qui a confiance dans la réglementation ou qui risque de la perdre, l'éventualité d'accidents dont j'ai tendance à penser qu'ils sont à peu près inévitables ?

Mon colonel, vous avez évoqué les tunnels du Grand Paris qui créent une nouvelle situation. Depuis l'accident du métro à la station Couronnes, je crois que c'était en 1910, il n'y a pas eu de grande tragédie dans le métro parisien. Il faut croiser les doigts. Je prends le métro tous les jours, parce que c'est simple, pratique, bon marché, et parce que l'on y rencontre des gens. Mais quand on voit la densité sur la ligne 13, on se dit qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que survienne une tragédie épouvantable. Et ça n'arrive pas. Tant mieux. Nous n'avons pas évoqué les ouvrages d'art, mais regardez le mouvement sur les ponts après l'affaire de Gênes.

Pour proposer une forme de conclusion, il faut accepter une logique dans laquelle des à-coups – comme le pont de Gênes qui s'effondre – sont inéluctables malgré tout ce qui est demandé aujourd'hui aux collectivités locales et à l'État, maître d'ouvrage, propriétaire d'ouvrages de franchissement. Chacun va oeuvrer à éviter un Gênes local, tant mieux. Mais nous ne pouvons pas être sûrs à 100 %. Absolument pas. Il faut donc accepter la continuité des systèmes d'analyse, qui sont de plus en plus performants, de molécules dont on découvre d'abord la présence, et ensuite la nocivité, et savoir expliquer à nos compatriotes que nos connaissances progressent – je reprends l'exemple du métro parisien – mais que la certitude absolue est simplement impossible.

Et les plus difficiles à convaincre ne sont peut-être pas les administrés, mais ceux qui leur parlent, et qui vivent naturellement – on ne peut pas leur en vouloir – de la vente de l'exceptionnel. Parmi les produits exceptionnels qui portent le plus, le marché de la peur est un marché à peu près inévitable. Mais la peur n'évite pas le danger, et le fait que l'Office parlementaire puisse parler à nos collègues députés et sénateurs sur ces sujets devrait nous conduire à soutenir les professionnels qui font très convenablement leur métier et qui nous proposent en permanence des solutions pour diminuer la probabilité des incidents et accidents. J'ai la faiblesse de penser, avec mon expérience longue, que cette probabilité d'exclusion d'une tragédie ne sera jamais totale.

Le jour de l'accident sur le site de Noyelles-Godault au printemps 1993, je suis allé sur place. J'avais été nommé ministre de l'Industrie quelques jours auparavant. Il y avait sept corps alignés les uns à côté des autres dans la grande halle de l'usine, qui était en apparence intacte, quoiqu'entièrement brûlée de l'intérieur par l'aspiration de gaz. Cette usine existait depuis 50 ans et n'avait jamais posé aucun problème.

Cela fait réfléchir.

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