Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du jeudi 7 mai 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Présentation

Adrien Taquet, secrétaire d'état auprès du ministre des solidarités et de la santé :

Entre ceux qui ne doutent de rien et ceux qui doutent de tout, il y a un espace parfois étroit ; c'est dans cet espace que loge l'esprit de responsabilité.

Les décisions prises jusqu'à présent n'ont rien d'anodin et le Gouvernement en a parfaitement conscience. Il sait que le texte qui vous est proposé, et qui vise à proroger l'état d'urgence sanitaire, n'est pas un blanc-seing. Bien au contraire, il mesure la responsabilité immense, la responsabilité historique qui est la sienne, qui est la vôtre aujourd'hui. L'état d'urgence sanitaire n'a qu'une seule vocation : permettre la lutte la plus rapide et la plus efficace possible contre l'épidémie.

Ce projet de loi n'est pas un caprice du Gouvernement ; il est, de l'avis unanime du Conseil scientifique, une nécessité. À l'unanimité, en effet, le Conseil scientifique a considéré que l'ensemble des dispositifs de lutte contre l'épidémie de Covid-19, incluant ceux prévus par la loi d'urgence du 23 mars dernier, restaient nécessaires, vu la situation sanitaire. Il a semblé qu'après six semaines au cours desquelles le pays tout entier a appris à vivre autrement, il convenait de proposer quelques modifications ciblées au régime de l'état d'urgence sanitaire, afin de conforter ce cadre juridique.

Toutefois, c'est surtout la perspective du déconfinement qui a amené à accélérer l'examen du présent projet de loi, compte tenu des adaptations législatives qu'il implique, et à prévoir un examen parlementaire compatible avec une entrée en vigueur le 11 mai.

Le déconfinement qui devrait s'opérer peu à peu à compter du 11 mai ne sera pas un retour pur, simple et immédiat à la vie d'avant. Dit autrement, il ne se traduira pas par la levée immédiate de toutes les mesures qui ont permis jusqu'à maintenant d'éviter le pire. Penser que le déconfinement marquera un retour à la normale serait une grave erreur. Des vies sont en jeu et la bataille n'est pas encore gagnée, loin de là– vous le savez.

Il était donc indispensable de sécuriser et d'élargir le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire, en y intégrant les enjeux du déconfinement. Je pense en particulier à la réglementation des transports et des établissements recevant du public. Avec le déconfinement, il s'agira non plus d'interdire ou de restreindre, mais de réglementer les déplacements, ainsi que l'accès aux moyens de transport et leur utilisation, pour être en mesure, par exemple, d'imposer dans certains cas le port d'un masque.

Le projet de loi apporte donc plusieurs précisions en vue d'encadrer la mise en oeuvre de telles mesures et de renforcer les garanties, notamment juridictionnelles, qui s'y attachent. Les conditions générales de ces mesures seront définies par décret, après avis du Conseil scientifique.

J'insiste sur ce point – même si nous aurons probablement l'occasion d'y revenir : les mesures individuelles prises sur ce fondement ne pourront viser qu'une seule catégorie de personnes, celles entrant sur le territoire national ou arrivant dans un territoire ultramarin ou en Corse ou provenant de l'un de ces territoires.

Les mesures individuelles qui seront prononcées le seront par décision motivée du représentant de l'État, sur proposition du directeur général de l'agence régionale de santé, et sur constatation médicale de l'infection en cas de placement à l'isolement. Bien évidemment, les mesures individuelles interdisant toute sortie pourront faire l'objet d'un recours à tout moment devant le juge des libertés et de la détention, et une mesure ne pourra dépasser quatorze jours sans décision dudit juge, sauf consentement de la personne concernée. Enfin, les mesures en question ne pourront en aucun cas se prolonger au-delà de trente jours.

J'en viens maintenant à la création d'un système d'information, parce que le système de tracing est un outil essentiel si l'on veut maîtriser les chaînes de contamination. Tout ce qui peut aider à lutter contre ce virus doit être exploité ; pas n'importe comment, bien sûr, mais en veillant scrupuleusement au respect des principes auxquels nous sommes toutes et tous attachés – nous aurons l'occasion d'en débattre.

Il s'agit, au moyen de ce système d'information, de collecter un grand nombre de données d'ordre médical et non médical, pour les porter à la connaissance de différents intervenants, avec cinq étapes distinctes, que je vais détailler. Première étape : le recueil des résultats positifs des tests par les laboratoires. Deuxième étape : le tracing de niveau 1 par les professionnels de premier recours en ville ou à l'hôpital pour définir le premier cercle des cas contact. Troisième étape : le tracing de niveau 2 par les plateformes de l'assurance maladie, les « brigades », afin d'enrichir la liste des cas contact au-delà du premier cercle et vérifier qu'aucun cas positif n'a échappé au tracing de niveau 1 avant de donner des consignes prophylactiques aux intéressés. Viendra ensuite le tracing de niveau 3 par les agences régionales de santé, les ARS, pour les chaînes de contamination, les cas groupés et le suivi du respect des consignes par les intéressés. Enfin, une surveillance épidémiologique locale et nationale sera assurée par Santé publique France et la direction générale de la santé.

Je le dis avec force, afin que les choses soient bien claires : ce système d'information est destiné à identifier des personnes infectées ou susceptibles de l'être, à collecter des informations nécessaires pour déterminer les personnes ayant été en contact avec ces dernières, à organiser des examens de biologie médicale de dépistage et à réaliser toute chose utile pour la lutte contre la propagation du virus. Si la loi intervient, si nous en débattons aujourd'hui, c'est uniquement pour lever les obstacles touchant au secret médical.

Les fichiers peuvent en principe être créés par voie réglementaire, mais, en l'espèce, l'atteinte au secret médical tenant à la diffusion, dans le cadre du tracing, d'informations sensibles à un grand nombre d'intervenants, allant bien au-delà des personnes qui prennent en charge les intéressés, oblige à recourir à une disposition législative – et c'est très bien ainsi.

La parole du Gouvernement a été claire et elle sera tenue : les données récoltées ne le seront pas pour les besoins d'une application ; les systèmes d'information dont nous parlons sont juridiquement et techniquement indépendants de l'application StopCovid.

Le téléservice Contact Covid développé dans l'environnement amelipro servira de système d'échanges entre les professionnels de santé et les plateformes de l'assurance maladie, en assurant la collecte de données d'identification et de suivi. Une disposition est prévue afin que les ARS aient accès en lecture et en écriture aux données de Contact Covid et puissent procéder à des extractions de données pour la recherche des contacts.

Un SIDEP, service intégré de dépistage et de prévention, relatif au test biologique du Covid-19, sera en outre déployé dans l'ensemble des laboratoires et structures autorisés à réaliser le diagnostic de Covid-19. Il permettra de colliger au sein d'une seule et même base de données l'ensemble des résultats d'analyses concernant le Covid-19, et sera accessible en temps réel aux professionnels de santé et autorités chargées de la recherche des contacts.

La mise en oeuvre des mesures que je viens de détailler – et il me semblait important de le faire dans ce propos liminaire – suppose un décret en Conseil d'État, qui sera pris après avis public de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. Il est en préparation.

Le déconfinement qui débutera dans quelques jours marque une étape dans le combat que nous avons engagé contre ce satané virus ; une étape parmi d'autres, parce que la bataille sera longue : rien ne serait pire que de penser le contraire et de se comporter après le 11 mai comme si de rien n'était.

L'examen parlementaire du projet de loi a commencé au Sénat. Le texte a été enrichi à plusieurs titres ; je pense notamment au renforcement des garanties en matière de droit du travail assurées aux personnes visées par des mesures de quarantaine, à l'interdiction explicite pour la nouvelle loi de servir de base juridique au déploiement de l'application StopCovid, ou encore à l'instauration d'un comité de contrôle et de liaison Covid-19 chargé d'associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre l'épidémie par suivi des contacts ainsi qu'au déploiement des systèmes d'information prévus à cet effet.

Mesdames, messieurs les députés, il nous faut construire un texte équilibré, efficace dans le combat contre le virus et, bien évidemment, respectueux des principes auxquels nous sommes attachés. Je ne doute pas que vous porterez sur ce texte un regard exigeant : il n'en faut pas moins si l'on veut lui donner la force et la confiance sans lesquelles les combats se transforment toujours en défaites.

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