Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du vendredi 8 mai 2020 à 9h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Article 2

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Je voudrais commencer par revenir sur les interventions sur l'article 2, afin d'expliquer quelques points. Je serai moins loquace sur la suite des amendements.

Dans un monde idéal, nous n'aurions pas pris en considération des limites régionales ou départementales, ni limité les déplacements à 100 kilomètres – j'ai bien entendu les arguments concernant cette limite de 100 kilomètres, qui ne revêt pas la même signification selon qu'on se trouve en Corse ou en Bretagne. Dans un monde idéal donc, nous aurions fonctionné à l'échelle des bassins de vie.

Un bassin de vie, comme il en existe environ 2 000 en France, c'est l'endroit où l'on se lève le matin, où l'on dépose ses enfants à l'école, où l'on fait ses courses, où l'on travaille, où l'on consulte un médecin, où l'on rentre chez soi le soir. Mais plusieurs difficultés s'opposent à en faire la zone de référence. Ainsi, les indicateurs par bassin de vie n'ont pas la précision requise, surtout s'agissant des urgences et des hôpitaux : la cartographie est différente de celle des bassins de vie. Ce n'est pas possible non plus du point de vue des laboratoires qui effectueront les tests.

Nous sommes donc obligés de définir un périmètre territorial plus large. Quel est le bon ? Comme vous l'avez constaté à la lecture des cartographies d'indicateurs, nous avons fait le choix d'un raisonnement par régions. En effet, l'indicateur-roi correspond au niveau de saturation des hôpitaux et des services de réanimation. On l'a vu dans le Grand Est et les Hauts-de-France : lorsque l'épidémie flambe dans une région, tous ses hôpitaux et cliniques sont mis à contribution. C'est parce qu'il faut prendre cet aspect en considération que nous n'avons pas retenu l'échelle départementale. En outre, le virus ne respecte pas les bassins de vie : il suffit d'un lieu de rencontre, où se croisent des gens issus de bassins de vie différents, pour que l'épidémie s'étende.

Le raisonnement classique des pouvoirs publics pour planifier l'organisation territoriale ne peut donc s'appliquer en matière de lutte contre une épidémie. Dès lors, nous limitons les déplacements à 100 kilomètres, sauf raison impérieuse, parce que nous savons que cette distance est très rarement, pour ne pas dire jamais, dépassée dans le cadre des activités quotidiennes, à l'exception des exemples cités hier par le Premier ministre de l'avocat qui se rend dans un tribunal à l'autre bout de la France pour y plaider ou d'un parent qui va chercher ses enfants, en résidence chez leur autre parent. Il s'agit donc d'une distance raisonnable, même si je comprends qu'elle ne paraisse pas idéale.

Nous avons également cherché à établir un équilibre entre la liberté de circulation des personnes et la nécessité de restreindre la propagation du virus : il faut que les gens puissent circuler, mais pas le virus. Concernant les déplacements dans l'espace européen, à partir du 11 mai, nous avons choisi de n'imposer aucune restriction aux entrées depuis l'espace Schengen, élargi au Royaume-Uni et à des pays limitrophes de l'Union européenne. Cependant, s'il s'avérait, dans les jours ou semaines à venir, que l'épidémie n'était pas maîtrisée dans un des pays concernés, ou que l'un d'entre eux changeait sa politique frontalière à l'égard des pays extérieurs à l'espace Schengen, en particulier ceux où l'épidémie ne serait pas contrôlée, nous serions alors amenés à limiter la circulation en imposant une quatorzaine aux personnes en provenance de cet État, selon des principes médicaux et scientifiques, appliqués de manière rigoureuse, légitime et censée.

À cette heure, il n'existe pas davantage de raisons, pour prendre à rebours l'exemple de Mme Vichnievsky, de restreindre la circulation d'une personne venant d'Italie que d'une personne venant d'un territoire où le virus circule activement comme l'Île-de-France. Il n'y a donc pas lieu d'imposer une mesure de quarantaine à quelqu'un arrivant d'Italie, sous réserve d'évolution de la situation épidémique. Je vois que je fais rire M. Philippe Vigier : je n'ai peut-être pas été clair – je raisonne à voix haute devant vous, j'adore ça !

Pour en venir à votre amendement, madame Thill, non, il n'est pas plus simple de passer par Londres pour aller de la Bretagne à Mulhouse que de respecter la loi. Déjà, il n'est pas simple du tout d'aller à Londres depuis la Bretagne en ce moment ; il est encore moins simple d'aller de Londres à Mulhouse. N'allez pas faire croire cela, ce n'est pas vrai.

Nous veillons à être cohérents dans nos décisions, pour assurer la sécurité des Français. Nous n'avons pas interdit la circulation sur le territoire national, nous la limitons aux déplacements indispensables de manière à éviter des scènes comme celles auxquelles nous avons assisté au début du confinement, où des gens se dépêchent de charger la voiture en se disant que c'est le moment de partir pour leur résidence secondaire, au risque de disséminer le virus. À la faveur des événements qui se sont déroulés dans le Grand Est, nous avons appris qu'il y a des foyers épidémiques sous-jacents, qu'on ne perçoit pas encore : en laissant se déplacer trop de personnes sur de trop grandes distances, ce foyer fait autant de petits dans l'ensemble du territoire – et voilà la vague épidémique ! Ça, c'est terminé. D'où la mesure essentielle : l'interdiction des grands rassemblements, qui évitera cette diffusion virale latente.

Nous veillons à respecter les libertés individuelles et collectives et à restreindre notre arsenal de lutte contre la diffusion du virus aux mesures strictement nécessaires. À l'issue des débats au Sénat et des enrichissements apportés à l'article 2, je crois sincèrement que nous avons atteint une rédaction équilibrée, sensée, respectueuse des libertés et susceptible de rassembler.

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