Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du mercredi 13 mai 2020 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

L'enjeu des nouvelles technologies révèle toujours une ambivalence entre les bénéfices du progrès et les risques de dérive inhérents à l'innovation. En tant que législateur, il nous faut continuellement ajuster la balance entre libertés et abus ou contournement de celles-ci.

En effet, si internet offre des libertés nouvelles, il faut bien constater que les discours de haine y sont exacerbés et peu sanctionnés. Sur les réseaux sociaux, les attaques envers autrui en raison de ses origines, de sa religion, de son sexe ou de son orientation sexuelle tendent à devenir des événements habituels, auxquels chacun est confronté. Notre société ne peut se résoudre à cette fatalité.

Les lacunes du cadre législatif sont réelles. Chacun de nous, personnellement, intimement, en tant qu'individu ou que membre du corps social, peut être frappé par cette violence anonyme. Or, dans les faits, peu de condamnations sont prononcées. Tout se déroule comme si internet était une sphère au sein de laquelle tout peut être dit, vu et montré. Le confort de l'anonymat ne fait qu'amplifier la sensation d'immunité de ceux qui se livrent à ces actes de haine. À cela s'ajoute la puissance des réseaux sociaux, qui offrent une multitude de supports et une viralité exponentielle : à l'ère du numérique, les corbeaux 2. 0 volent en escadrille.

Les contenus doivent donc être identifiés et retirés rapidement. Il est temps de responsabiliser davantage les opérateurs et de rendre les sanctions effectives ; il y va de la protection de nos concitoyens contre toutes les formes de propos et d'actes haineux. Nous saluons le travail accompli par l'Assemblée et nous regrettons qu'un désaccord ait persisté avec le Sénat concernant le délit de non-retrait des contenus haineux.

Le groupe UDI, Agir et indépendants avait majoritairement voté pour la proposition de loi lors des précédentes lectures, car nous sommes convaincus qu'elle vise les bons objectifs. Nous ferons de même en lecture définitive.

Il faut être solidement armé juridiquement afin de lutter contre les dérives du Net. Nous saluons donc l'obligation de retrait des contenus haineux en vingt-quatre heures et les sanctions qui s'y rattachent, ainsi que toutes les mesures renforçant l'efficacité de la réponse pénale à l'égard des auteurs de contenus haineux en ligne. La création d'une juridiction spécialisée permettra de mieux appréhender ce contentieux spécifique.

La pédagogie et la prévention sont tout aussi importantes, car elles sont le gage de l'efficacité à long terme de la lutte contre les contenus haineux. Les plus jeunes doivent être sensibilisés et instruits. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il était indispensable d'introduire des mesures de formation dans le code de l'éducation.

Les évolutions de la proposition de loi au cours de la navette parlementaire ont été riches. Il est néanmoins important de rester humble : humble face à l'ampleur du phénomène, humble face à son évolution. Il n'y a pas de réponse simple et complète qui permettrait de trouver un équilibre parfait entre la protection des individus et la défense naturelle de la liberté d'opinion.

Je tiens à souligner que certains d'entre nous sont encore sceptiques concernant la réponse à apporter au problème des contenus gris. Faire la distinction entre contenu licite et illicite est souvent aisé, mais pas toujours. Par conséquent, certains considèrent que la place du juge judiciaire aurait pu être mieux consacrée dans un mécanisme qui met en jeu une de nos libertés les plus fondamentales. Ce point justifiera certaines abstentions au sein de notre groupe.

Le rôle du législateur sera d'être vigilant quant au respect de la liberté d'expression, c'est-à-dire à l'application concrète de la proposition de loi. Les plateformes n'ont pas à devenir des gendarmes du Net.

Nous espérons également que le Conseil supérieur de l'audiovisuel disposera des moyens lui permettant de remplir ses nouvelles missions.

Enfin, une fois la loi votée au niveau national, il ne faudra pas oublier la dimension européenne du sujet. Être moteur, oui, mais être isolés, non ! Nous devrons donc prendre en compte les remarques formulées par la Commission européenne dans la notification qu'elle a adressée à la France et construire à long terme une véritable politique publique européenne.

Pour ma part, je voterai ce texte ; l'immense majorité de mon groupe le votera également et certains s'abstiendront.

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