Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mercredi 13 mai 2020 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Cette proposition de loi prétend lutter contre la haine. Or, comme je l'ai souligné tout à l'heure, elle ne contient rien sur la question concrète de la lutte contre les discriminations quotidiennes ou les discriminations numériques – bien au contraire.

La notion de contenu haineux sur internet n'est en rien évidente. Les mots-dièses « Balance ton porc » et « Men are trash » relèvent-ils d'une haine anti-masculine, le mot-dièse « Black Lives Matter » est-il un discours de haine anti-blancs ? De mon point de vue, la réponse est évidemment non. Ces libellés numériques ont permis de massifier une parole qui était – et qui reste – trop souvent réduite au silence par les canaux institutionnels de médiatisation. Ils ont permis à des groupes de lutte contre les discriminations de s'organiser, de mettre en place des plateformes propositionnelles pour la justice sociale et de dénoncer des impunités trop longtemps protégées par les pouvoirs.

Pourtant, ces mots-dièses ont très souvent été signalés sur les plateformes comme des contenus haineux – heureusement sans conséquence jusqu'à présent, c'est-à-dire jusqu'au vote de ce texte.

Le Gouvernement, qui s'affiche comme un pourfendeur des discriminations, encourage en même temps les moyens numériques qui les renforcent. Le décret du 20 février 2020 sur l'application GendNotes autorise les gendarmes à prendre en photo toute personne suspectée d'avoir commis une infraction et à enregistrer des informations sur sa religion, sa politique, sa sexualité ou sa prétendue origine raciale, si elles sont jugées par la police judiciaire ou administrative absolument nécessaires.

Outre le fait qu'on ne sache pas bien à quoi renvoie ladite origine raciale, cette application permet aux forces de sécurité de collecter des informations sensibles du fait des oppressions historiques subies par les groupes visés, certes à titre préventif.

Il en est de même pour les expérimentations en matière de reconnaissance faciale, qui ouvrent la boîte de Pandore à un usage sécuritaire alors même qu'il a été prouvé qu'elles discriminent particulièrement certaines catégories de personnes.

Votre majorité fait donc une campagne d'affichage de lutte contre la haine, alors qu'elle renforce elle-même les outils numériques qui autorisent la discrimination.

Cette proposition de loi prétend apaiser les rapports sur internet en renforçant le contrôle policier. Par un amendement de dernière minute, le Gouvernement a inscrit dans ce texte des dispositions relevant de la lutte antiterroriste et obligeant les plateformes, après signalement des autorités administratives, notamment les agents et agentes de police, à supprimer dans un délai d'une heure les contenus notifiés. Il s'agit là de donner aux forces de police le pouvoir de censurer d'une manière expresse des contenus sur internet.

Il faut ici rappeler, comme l'ont relevé le site spécialisé Next INpact et La Quadrature du Net, que la police n'a pas toujours fait un usage proportionné de son pouvoir de signalement sur internet. Il est notamment fait référence, au début de 2019, au signalement effectué par la police française auprès de Google au sujet d'une caricature présentant Emmanuel Macron et son gouvernement sous les traits du dictateur Pinochet et de ses proches. Ce signalement, enregistré dans la catégorie « injure, diffamation xénophobe ou discrimination » n'a pas été retenu par Google pour l'instant, les mesures de la présente proposition de loi n'étant pas encore applicables.

Vous prétendez garantir des droits alors qu'en réalité, vous remplacez le droit à un service public de la justice par le service public d'une justice privée.

Dans la procédure de censure de contenu en matière de lutte contre le terrorisme, comme en matière de lutte contre la haine, le juge des libertés, ici de la liberté d'expression, est évincé au bénéfice des GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. Nous refusons que des entreprises privées, dont le modèle économique est notamment fondé sur notre expression, deviennent des juges d'instance : elles n'en offrent pas les garanties, elles n'en ont pas les obligations statutaires ; elles ne sont pas soumises au même contrôle ni à la même éthique.

Par ailleurs, M. le secrétaire d'État chargé du numérique l'a rappelé, la gestion actuelle de la pandémie qui a mené au confinement a profité à ces plateformes, à ces géants du numérique, parce que les personnes confinées ont davantage dépendu de l'espace virtuel pour le travail, la distraction, le repos, l'achat, des formes de socialisation. Cette situation, qui bénéficie aux géants du numérique, rend d'autant plus problématique le fait de leur octroyer, par cette loi, un pouvoir supplémentaire, qui plus est juridictionnel, alors que leur est déjà dévolu un rôle trop important dans la gestion quotidienne de nos vies.

Rappelons enfin les nombreuses propositions que le groupe La France insoumise a formulées : nous avons déposé des amendements qui concernaient notamment la lutte contre les biais algorithmiques ou la mise en place de l'interopérabilité, qui sont au coeur du problème de la dissémination des contenus haineux. Vous les avez tous rejetés.

Voilà pourquoi nous nous opposons et continuerons de nous opposer à ce texte très problématique, au mieux inutile, mais, nous le craignons, très dangereux.

1 commentaire :

Le 21/05/2020 à 01:47, conservateur6 a dit :

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Il y a tout de même eu des dérives anti-hommes et anti-blancs avec vos "mot-dièses".

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