Intervention de Jérôme Lambert

Séance en hémicycle du jeudi 14 mai 2020 à 9h00
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

… et, pour ce faire, d'en débattre, arguments contre arguments, avec la liberté, pour chacune et chacun d'entre nous, d'en améliorer chaque alinéa en défendant des amendements.

Fini les échanges de vues et les débats sur les textes de loi ! Un seul mot d'ordre pour un Parlement aux ordres : les ordonnances ! C'est bien cela qui nous est proposé. Confions le pouvoir de faire la loi au pouvoir exécutif – à charge pour nous, le jour d'après, le jour trop tard, de nous satisfaire d'un texte de ratification, qui pourrait aussi prendre – pourquoi pas ? – la forme de l'urgence, au gré du pouvoir exécutif !

Certes, il nous reste le seul pouvoir dont nous disposons encore, celui d'accepter – ou non – de nous dessaisir en grande partie de notre droit de débattre de la loi dans des conditions normales, ainsi que du droit – relatif mais bien réel – d'encadrer le champ d'application des ordonnances que pourrait adopter le Gouvernement. Maigre satisfaction, dont nous ne pourrons contrôler l'effectivité réelle que le jour où les ordonnances, après avoir été appliquées, reviendront devant nous pour être ratifiées !

Certes, la possibilité de légiférer par ordonnances n'a pas été inventée à l'instant. De multiples gouvernements y ont eu recours au fil du temps. Toutefois, les raisons de le faire sont plus ou moins bonnes, selon l'objet auquel elles s'appliquent. On peut l'admettre pour des dispositions législatives ayant un caractère très technique et ne nécessitant pas de débats politiques – telles que celles transposant notre droit à des territoires ultramarins, qui ne soulèvent en général aucune difficulté particulière. Certaines de celles que nous examinons aujourd'hui entrent dans cette catégorie, comme la prolongation de quelques mois des mandats de certains conseils d'administration, tels ceux des fédérations de chasseurs, empêchés de renouvellement par la période de confinement. Toutefois, cet arbre ne doit pas cacher la forêt des dispositions qui, elles, posent des difficultés – et les débats en commission spéciale ont démontré qu'elles étaient nombreuses.

Mes chers collègues, si vous ne votez pas la présente motion de rejet préalable, comme je le crains, nous aurons l'occasion, les uns et les autres, de revenir sur ces observations au cours de l'examen du texte, tant sont nombreuses les dispositions qui ne sont pas exclusivement des adaptations découlant directement des conséquences de la crise de la – et non du – Covid-19.

Tel est le cas des dispositions relatives aux conditions et aux modalités de prêt de main-d'oeuvre, au régime d'intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés, aux volontaires internationaux, au Brexit ou à la justice : elles ne présentent pas de lien direct avec les conséquences des décisions prises par le Gouvernement pour lutter contre l'épidémie de Covid-19, mais figurent cependant dans le texte !

Autre aspect très révélateur de cette absence de lien direct avec la situation prévalant à l'heure actuelle : la durée d'habilitation demandée, prétendument nécessitée par l'urgence, est le plus souvent de douze mois, et, s'agissant du Brexit, de trente mois, comme l'a rappelé notre secrétaire d'État. Si le Gouvernement prétend devoir légiférer par voie d'ordonnances en raison de l'urgence de la situation, alors il n'a aucune raison de solliciter de tels délais de notre part, car, passé plusieurs mois, l'urgence ne se justifie plus. Cet argument est l'un de ceux qui doivent nous conduire à adopter la présente motion de rejet préalable.

Des contenus sans rapport direct avec les conséquences de la crise sanitaire ; des délais sans rapport avec l'urgence invoquée : oui, le Parlement est aujourd'hui contraint de faire un choix, entre se dessaisir de son pouvoir pour de mauvaises raisons ou refuser l'examen du texte, afin de permettre au Gouvernement de revoir entièrement sa copie et de réserver aux ordonnances les dispositions conformes à leur esprit – c'est-à-dire plutôt techniques et inspirées par l'urgence ! Tout le reste – et il y a beaucoup de reste dans le texte proposé – doit être écarté.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, revoyez votre copie pour respecter le Parlement ! Et nous, députés, ne nous laissons pas entraîner à déconsidérer notre fonction de faire la loi, encore moins à cette heure, dans la situation de crise où nous nous trouvons, alors que les Français sont en droit d'attendre de leurs représentants qu'ils exercent pleinement leur pouvoir de contrôle du Gouvernement ! Nous avons déjà tant lâché la bride au cou de ce dernier : jamais, sous prétexte de crise sanitaire, nos libertés n'ont été aussi altérées ! N'abandonnons pas la liberté de faire la loi au nom du peuple français !

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