Intervention de Joël Aviragnet

Séance en hémicycle du jeudi 14 mai 2020 à 9h00
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Aviragnet :

Le texte dont nous discuterons dans les prochaines heures est sans colonne vertébrale, il parle de tout et de rien, et aucune de ses dispositions n'est liée à la précédente. C'est dans ce cadre que vous nous demandez de voter en urgence une série de trente-trois habilitations à légiférer par ordonnances.

Face à la crise du Covid-19, le groupe Socialistes et apparentés a fait preuve de responsabilité et a voté un grand nombre de mesures véritablement urgentes pour y répondre. À l'instar de nombreux autres groupes d'opposition, il n'a jamais hésité, dans la période, à venir en aide au Gouvernement et à la majorité lorsque c'était nécessaire.

Mais aujourd'hui, sous prétexte de la crise, vous nous demandez de voter un texte qui balaye un nombre de sujets incalculable allant des questions de justice à l'agriculture, de l'immigration au Brexit, du droit du travail à la trésorerie des organismes chargés d'une mission de service public.

Ce texte, mes chers collègues, est un alliage de mauvaises fortunes. Il n'a aucune logique et ne comporte rien qui nécessite véritablement d'être traité en urgence, contrairement à ce qui est affirmé. Ce projet de loi vous permet simplement de faire adopter une multitude de cavaliers législatifs qui n'auraient pu l'être en temps normal. Vous profitez donc de cette période au cours de laquelle le Parlement légifère dans l'urgence et où les Français sont préoccupés par le déconfinement, la rentrée scolaire de leurs enfants, ou l'état de santé de leurs proches, pour nous faire adopter des mesures souvent inacceptables et parfois dérisoires. La manoeuvre est résolument inadmissible et dit beaucoup de la considération que vous portez aussi bien à la démocratie qu'à l'État de droit.

Je ne m'étendrai pas sur les conditions d'examen du texte en commission et en séance, contraires au respect du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi – un principe constitutionnel qui devrait un tant soit peu retenir votre attention. Faut-il rappeler qu'il y a moins d'une semaine, le Conseil constitutionnel a déjà censuré deux dispositions de la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire ?

Avec ce texte, vous demandez dans l'urgence trente-trois habilitations à légiférer par ordonnances. Or certaines d'entre elles prévoient des délais de ratification de trente mois. Comment oser parler d'urgence dans ce cas ? Il s'agit d'une nouvelle marque de mépris à l'égard du Parlement !

Sur le fond, ce texte affaiblit le droit du travail en ce qu'il permet à un employeur de multiplier le recours aux CDD hors de toute contrainte. Il permet également de déroger au nombre maximal de vacations dans plusieurs missions publiques. Y avait-il urgence à affaiblir le droit du travail ? Je ne le crois pas. Tous nos voisins européens font d'ailleurs l'inverse et sécurisent les emplois de leurs ressortissants.

Ce texte habilite aussi le Gouvernement à piocher dans le Fonds de réserve des retraites, constitué par le gouvernement Jospin pour faire face au choc démographique lié à l'accession à la retraite des baby-boomers. Cet affaiblissement de notre système de protection sociale est particulièrement choquant.

Par ailleurs, ce texte étend la réforme de la justice au-delà de ce qui était prévu, sans que le Parlement n'ait pu consulter ni auditionner les acteurs concernés.

Enfin, l'article 3 de ce projet de loi autorise l'État à faire main basse sur les trésoreries d'organismes publics ou privés chargés d'une mission de service public. Cela concerne les réserves des caisses de retraites, des mutuelles, des agences de gestion de l'eau, ou encore les trésoreries d'associations chargées de missions de service public. Cette mesure pourrait bien menacer la survie économique de plusieurs structures, mais vous n'en avez cure.

Certaines dispositions sont certainement justifiées par l'urgence, et nous le reconnaissons – je pense notamment à la question du droit à la retraite pour les personnes se trouvant en situation d'activité partielle. Elles sont cependant noyées dans un ensemble de mesures incohérentes qui ne relèvent d'aucune urgence. Cela discrédite totalement le bien-fondé de ce texte et, par là même, l'action de ce Gouvernement. Comment, dès lors, obtenir la confiance des Français et de la représentation nationale ?

S'il est une urgence dans le pays, c'est bien la gratuité des masques pour tous les Français, riches ou pauvres. Or plusieurs amendements du groupe Socialistes et apparentés allant dans ce sens ont été rejetés par votre majorité. Autre urgence : la suppression des frais bancaires pour les familles modestes pendant la crise. Le groupe socialiste au Sénat avait fait adopter cette disposition, mais vous l'avez supprimée. Il y a urgence aussi à allonger à quatorze semaines le délai pour recourir à une IVG. Il y a urgence encore à voter un accroissement des moyens financiers pour l'hôpital public, les EHPAD et surtout les services d'aide à domicile, qui se trouvent en très grande difficulté.

Vous le savez, les urgences ne manquent pas. Tâchez de vous intéresser aux véritables urgences pour répondre à la crise et vous aurez un pays tout entier à vos côtés. Continuez d'utiliser la crise sanitaire pour nous faire voter des inepties et des mesures de régression sociale et vous aurez la colère et la défiance. Le choix vous appartient.

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