Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du vendredi 10 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Aide publique au développement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

« La pauvreté n'est pas un accident. Comme l'esclavagisme et l'apartheid, elle est créée par l'homme et peut donc être évitée par ses actions. » En deux phrases, cette citation de Nelson Mandela donne la mesure de l'importance de l'aide publique au développement, instrument correcteur d'une mondialisation profondément injuste.

Or l'effort consenti en la matière par la France, qui est tout de même la sixième puissance économique mondiale, est une misère. Ce nouveau budget n'est même pas à la hauteur des engagements pris. Monsieur le ministre, vous nous parlez d'une hausse de 100 millions d'euros en 2018, mais vous ne prenez pas en compte les annulations de crédits de 136 millions d'euros opérées en juillet 2017. Malgré les effets d'annonce, c'est à une nouvelle baisse du budget dédié à l'aide au développement, déjà bien entamé pendant le quinquennat précédent, que nous assistons.

Aujourd'hui, pour atteindre l'objectif de consacrer 0,55 % du revenu national brut à l'aide publique au développement, comme Emmanuel Macron s'y est engagé, il faudrait augmenter le budget de l'APD de 1,2 milliard d'euros par an. On n'y est pas du tout ! Et encore cela ne permettrait-il pas de respecter l'engagement pris par notre pays, et inscrit dans la loi en 2014, d'allouer 0, 7 % du revenu national brut à l'aide publique au développement, ce que d'autres pays européens parviennent très bien à faire : je pense bien sûr au Royaume-Uni, au Danemark, mais aussi à un pays qui vous est cher et que vous prenez très souvent pour modèle, sauf en l'espèce – l'Allemagne.

La France n'est qu'au douzième rang des pays contributeurs membres du Comité d'aide au développement. L'aide publique au développement paie le prix fort des politiques d'austérité qui se suivent, malheureusement, et se ressemblent. Monsieur le ministre, vous allez, je le sais, me rétorquer « règle d'or » ; je vous répondrai « taxe sur les transactions financières » ou « lutte contre l'évasion fiscale ». Car des solutions existent pour mieux doter ce budget : on pourrait commencer par étendre l'assiette de la TTF ou par consacrer l'intégralité de ses bénéfices à l'aide au développement.

Si la France ne mène pas une politique volontariste, comment pourra-t-elle relever les défis écologiques et migratoires, aider à combattre la pauvreté et même l'extrême pauvreté ou, dans une autre mesure, les causes des guerres que nous traversons ? Je ne prendrai qu'un seul exemple : l'aide à destination des pays du Sahel est inférieure de 29 % au coût de la seule opération Barkhane. La France a pourtant tout intérêt à oeuvrer pour la paix et pour la stabilité par le biais de l'aide au développement, essentielle avant comme après les opérations militaires.

La France doit donc repenser profondément sa politique d'aide au développement, qui ne profite que marginalement aux pays les plus pauvres, alors que les pays développés ont pris des engagements en ce sens, renouvelés par le plan d'action d'Addis-Abeba, en 2015, et par l'Agenda 2030. La France n'honore pas ses engagements : en 2015, elle ne consacrait que 27 % de son aide aux pays les moins avancés. Cette aide a même diminué de 17 % entre 2011 et 2015.

La France doit aussi revoir les modalités de diffusion de son aide. Aujourd'hui, l'aide au développement française privilégie les prêts, au détriment des dons aux pays les plus en difficulté, ce qui défavorise ces pays. D'après les chiffres avancés dans le rapport de M. Le Fur, les dons ont en moyenne représenté 67 % de l'aide au développement française entre 2003 et 2015, soit 15 points de moins que pour l'ensemble des pays du Comité d'aide au développement. Parallèlement, entre 2007 et 2015, la part des prêts dans l'aide française est passée de 9 % à 32 %, alors qu'elle restait stable chez l'ensemble des pays donateurs du CAD.

Cette orientation ne permet tout simplement pas de soutenir les pays les plus vulnérables, lesquels ont besoin d'un soutien financier rapide, direct et flexible. Sans changement de cap politique, il nous sera impossible de lutter contre cette trappe à pauvreté mondiale, qui concerne plus de 800 millions de personnes. Il est urgent d'ériger la solidarité internationale et le développement durable en priorités de notre politique étrangère.

Vous comprendrez bien que, dans les conditions actuelles, les députés de la France insoumise ne puissent que voter contre ce projet de budget. Nous le regrettons infiniment, car la paix et la solidarité sont en jeu, et parce que la France devrait s'honorer de respecter ses engagements en faisant face à cette situation mondiale délétère.

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