Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du lundi 18 mai 2020 à 21h30
Débat sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Il y a six mois, le Gouvernement entérinait sa réforme de l'assurance chômage par l'entrée en vigueur de son premier volet, prenant ainsi définitivement acte de l'échec des négociations entre les partenaires sociaux. À l'époque déjà, le groupe Libertés et territoires avait regretté le peu de marge de manoeuvre que le Gouvernement avait laissé aux partenaires sociaux et sa reprise en main de ce sujet, d'autant que la réforme présentée in fine nous a fait douter, pour dire le moins, de sa capacité à protéger les demandeurs d'emploi les plus fragiles.

Nous craignions en effet que cette réforme réponde davantage à une logique comptable au détriment d'impératifs de solidarité et de justice sociale. En effet, elle pénalise les travailleurs exerçant une activité discontinue, en particulier les travailleurs saisonniers et intérimaires qui alternent les contrats courts et les périodes d'inactivité.

Il y a six mois, pourtant, l'économie se portait plutôt bien et les statistiques du chômage étaient en recul constant. Après douze années de déficit, l'UNEDIC prévoyait d'ailleurs un retour à l'équilibre, voire une situation excédentaire. Malgré cette bonne conjoncture économique, les craintes demeuraient nombreuses. À l'époque, une note de l'UNEDIC avait confirmé nos doutes et nous avait éclairés sur l'effet anticipé de la réforme : certes, des économies de l'ordre de 3,4 milliards d'euros étaient annoncées pour la période 2020-2021 mais en contrepartie, l'UNEDIC prévoyait déjà que les décisions du Gouvernement auraient une incidence négative sur plus de 40 % des demandeurs d'emploi bénéficiant du régime de l'assurance chômage, en particulier les travailleurs saisonniers exerçant dans les secteurs de la restauration, de l'hébergement et des loisirs en zone touristique, qui représentent près de la moitié des travailleurs saisonniers.

Novembre 2019 semble bien loin aujourd'hui, tant la brutalité de la crise provoquée par l'épidémie de covid-19 a bouleversé le pays. Tous les indicateurs économiques de l'époque sont caducs. Nous ignorons encore quelles seront précisément les incidences de la crise sur l'emploi mais les statistiques publiées jeudi dernier par l'INSEE indiquent que le nombre de chômeurs a poursuivi sa baisse pour atteindre un taux de 7,8 %, soit une baisse de 0,3 % par rapport au dernier trimestre de 2019. L'INSEE estime cependant que cette baisse en trompe-l'oeil révèle surtout l'indisponibilité des personnes à rechercher un emploi, beaucoup ayant cessé toute démarche en période de confinement. De surcroît, les chiffres de Pôle emploi pour le mois de mars concluaient déjà à une augmentation de 250 000 chômeurs.

Le retour à l'équilibre de l'UNEDIC s'annonce compromis, le coût du dispositif de chômage partiel s'élevant déjà à 24 milliards d'euros. Ainsi, la crise économique ne fait que renforcer nos craintes quant aux conséquences de la réforme de l'assurance chômage.

Vous avez pris, madame la ministre, quelques mesures d'assouplissement pendant la crise en prolongeant notamment le versement de l'allocation pour les personnes arrivant en fin de droits. Vous avez également reporté au 1er septembre l'entrée en vigueur du décret prévu pour avril dernier, qui visait à durcir le mode de calcul utilisé pour déterminer si une personne peut ou non bénéficier de l'assurance chômage.

Alors que vous vous apprêtez à engager une réflexion avec les partenaires sociaux, des associations et des syndicats comme la CFDT et l'UNSA demandent le retrait pur et simple de la réforme. Il faudra en effet aller plus loin que de simples mesures d'adaptation. La crise exige une réelle remise en cause de la réforme : il faut imaginer un nouveau système permettant le retour à l'emploi et, surtout, garantissant davantage de solidarité face au chômage et à la précarité.

Il faut impérativement se pencher sur les contrats courts et précaires, qui sont les plus durement pénalisés. L'inquiétude est particulièrement vive pour les travailleurs saisonniers des secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration, qui subissent des répercussions lourdes et durables. Nombreux seront les travailleurs qui n'auront pas assez travaillé en 2020 et qui auront bientôt épuisé leurs droits au chômage, sans compter tous ceux qui n'auront pas pu retrouver un emploi du fait de la baisse de l'activité touristique liée à la crise du covid. Le système de bonus-malus, qui ne tient pas compte des spécificités des secteurs et des territoires dépendant du tourisme, risque de pénaliser l'embauche.

Quant aux nouvelles règles d'indemnisation, notamment de cumul emploi-chômage, elles doivent être repensées. À partir de septembre, les indemnités seront établies sur la base du revenu moyen des mois où un salarié a travaillé, ce qui réduira leur montant d'environ 30 % par mois. Il faudra également avoir travaillé six mois, au lieu d'un seul actuellement, pendant la période de chômage pour que l'indemnisation soit prolongée d'autant, ce qui pénalise encore une fois les contrats courts.

Vous ne pouvez vous contenter de simples ajustements, madame la ministre. Le Gouvernement est-il prêt à remettre profondément en cause la réforme de l'assurance chômage afin d'apporter des réponses adaptées à la situation des travailleurs les plus précaires ?

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