Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du lundi 18 mai 2020 à 21h30
Débat sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Arrêtez la chasse aux chômeurs, madame la ministre ! Le 18 mars, vous preniez des mesures d'urgence pour « lutter contre la précarité et protéger les plus vulnérables », disiez-vous. Pour cela, vous avez été forcée de geler certaines dispositions de votre réforme de l'assurance chômage.

Ainsi, la dégressivité des allocations au bout de six mois d'indemnisation est suspendue. Par ailleurs, les périodes non couvertes par un contrat de travail ne seront pas prises en compte dans le calcul de l'indemnisation pendant la durée de la crise sanitaire – mais seulement à titre exceptionnel, vous empressez-vous de rappeler.

Tiens donc ! La réforme dont vous vantiez le bien-fondé il y a encore quelques mois doit être gelée pendant la crise : on n'imaginait pas pareil aveu ! Pourquoi en suspendre les effets si elle était si bénéfique pour l'intérêt général ? Pourquoi reporter une réforme destinée à lutter contre le chômage alors que nous entrons dans une crise sociale d'ampleur avec une explosion du chômage ? À moins qu'il ne faille avouer que cette réforme n'était pas destinée à lutter contre le chômage mais bien contre les chômeurs…

L'épidémie limite la reprise d'emploi, me répondrez-vous. L'épidémie a bon dos ! Épidémie ou non, la France souffrait déjà d'un mal dont vous taisiez le nom : la pénurie. Avant la crise, 300 000 offres d'emploi étaient non pourvues – encore que ce chiffre puisse être discuté, mais passons – pour 6 millions de chômeurs. Vous restiez pourtant aveugle ! C'était votre mensonge préféré pour vendre votre réforme crasse : il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi. Mais bien sûr ! Il est plus facile de culpabiliser les chômeurs en les rendant responsables de leur situation que d'admettre l'échec de votre politique.

Or la situation ira en s'aggravant. L'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – prévoit que le chômage pourrait toucher 500 000 personnes supplémentaires. Les entrées au chômage pour fin de mission d'intérim ont augmenté de 151 % au début du confinement. Avec vous aux manettes, la crise économique provoquera sans aucune doute un défilement de faillites et de plans sociaux. Pourtant, vous vous obstinez. Vous préférez reporter votre réforme plutôt que de l'abandonner. Le carnage pourra reprendre en septembre. La crise n'est pour vous qu'une parenthèse. Vous maintenez donc votre taxe sur les chômeurs ! En effet, c'est bien de cela qu'il s'agit : votre seule ambition consiste à réaliser 4,5 milliards d'économies sur le dos de celles et ceux qui sont privés d'emploi.

Dans ce but, votre méthode moyenâgeuse est la saignée : les périodes d'inactivité seront prises en compte dans le calcul de l'indemnisation et, en conséquence, vous baissez les indemnisations de 650 000 chômeurs. Vous durcissez également les conditions d'ouverture de droits. Pour vous, ce sont 1,3 million de cases radiées de votre tableur Excel. Pour eux, ce sont des vies brisées et une mort sociale.

Les personnes qui alternent contrats courts et périodes de chômage seront frappées de plein fouet. La boucle est ainsi bouclée : vous avez d'une main détruit le code du travail et facilité le recours massif des entreprises aux emplois précaires, et de l'autre vous sanctionnez par cette réforme celles et ceux qui les occupent.

Et pour finir, plutôt que de diminuer le temps de travail pour que tous travaillent, vous en portez la durée à soixante heures par semaine et vous vous attaquez au droit au repos hebdomadaire. Quel génie, madame la ministre ! Votre petite entreprise de destruction ne connaît pas la crise ! La presse nous apprend que les sanctions après deux refus d'emploi ont repris le 11 mai et que les radiations pour absence à convocation reprennent demain. Pendant ce temps, 14 000 personnes meurent chaque année du fait du chômage de longue durée. Maintenir votre réforme dans ces circonstances devrait vous faire honte.

Toutes vos réformes visant à « libérer les énergies », flexibiliser l'emploi, réduire le coût du travail et je ne sais quelle autre foutaise ont déjà fait maintes fois la preuve de leur échec. C'est tout le contraire qu'il faut faire ! Car le chômage est un choix politique.

Il faut, au contraire, partager le temps de travail et enclencher la bifurcation écologique et solidaire, afin de créer des centaines de milliers d'emplois socialement et écologiquement utiles. Garantir un emploi digne à toutes et tous est une nécessité, alors que le nombre de chômeurs explose déjà dans cette crise sanitaire.

Dans cette tâche, la responsabilité de l'État, la vôtre, est immense. Pour éradiquer le chômage de masse, nous devons faire de l'État l'employeur en dernier ressort des personnes privées d'emploi. C'est la condition pour mettre en oeuvre le droit à l'emploi, consacré dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous sommes de ce camp-là !

Vous, vous prônez des solutions du passé. Il y a déjà près de trente ans, André Gorz écrivait ceci : « Une perspective nouvelle s'ouvre ainsi à nous : la construction d'une civilisation du temps libéré. Mais, au lieu d'y voir une tâche exaltante, nos sociétés tournent le dos à cette perspective et présentent la libération du temps comme une calamité. Au lieu de se demander comment faire pour qu'à l'avenir tout le monde puisse travailler beaucoup moins, beaucoup mieux, tout en recevant sa part des richesses socialement produites, les dirigeants, dans leur immense majorité, se demandent comment faire pour que le système consomme davantage de travail – comment faire pour que les immenses quantités de travail économisées dans la production puissent être gaspillées dans des petits boulots dont la principale fonction est d'occuper les gens ».

Le temps presse. Vous nous en avez fait perdre tant ! Abandonnez cette réforme de l'assurance chômage mortifère, arrêtez votre chasse aux chômeurs ! Vous et vos vieilles recettes, madame la ministre, avez fait votre temps.

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