Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du lundi 18 mai 2020 à 21h30
Débat sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Vous avez été plusieurs à le dire, je pense notamment à M. Dharréville, Mme Fabre et Mme Dalloz, la protection sociale est un bien commun auquel nous sommes très attachés en France et dont l'assurance chômage fait partie. Vous avez d'ailleurs été plusieurs à saluer l'action du Gouvernement en termes d'activité partielle, dite chômage partiel. Depuis deux mois, ce dispositif a apporté un filet de protection à presque 12,5 millions de nos concitoyens. Il a évité des centaines de milliers de licenciements, qui ont eu lieu dans les pays qui n'ont pas recouru à cet amortisseur social, notamment les États-Unis où plus de 30 millions de personnes ont perdu leur emploi.

Les compétences d'un million d'entreprises ont ainsi été protégées, et plus de 12 millions de nos concitoyens, ce qui représente six emplois sur dix dans le secteur privé, dont plus de la moitié dans les petites entreprises, ce qui est important pour les entreprises, les salariés et les territoires.

Le système de l'assurance chômage fait partie de la protection sociale générale. Quel est l'impact de la crise actuelle sur la réforme que nous en avons faite ?

La réforme de l'assurance chômage a été rendue possible par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, concrétisée par un décret du 26 juillet 2019. Cette évolution normative a été l'un des piliers de la transformation de notre modèle social, voulue par le Président de la République. Les objectifs de cette loi ont toujours été clairs : mieux inciter à la reprise d'emploi et lutter contre le développement de la précarité lié au recours excessif aux contrats courts.

Personne n'aurait pu prédire la situation exceptionnelle que nous connaissons. Mme de Vaucouleurs et d'autres ont rappelé à quel point le contexte avait changé. Il y a trois mois et quinze jours, j'annonçais ici même que le chômage avait baissé jusqu'à un taux que nous n'avions pas connu depuis onze ans, avant la crise de 2008-2009, soit 8,1 % dans le pays et 7,9 % en métropole. En outre, l'apprentissage avait explosé, puisque le nombre d'apprentis avait décollé de 16 %.

C'était il y a trois mois : pour vous je ne sais pas, mais cela me semble très loin. Nous avons vécu avec une intensité extraordinaire depuis trois mois et nous sommes plongés dans une nouvelle situation. Vous l'avez dit sur tous les bancs, la crise du covid-19 a profondément affecté la situation du marché du travail, ce dont nous devons tenir compte. Elle l'aurait fait encore plus sans le recours massif au chômage partiel.

En mars, les données de Pôle emploi ont fait état de 246 000 chômeurs supplémentaires de catégorie A, soit la tendance opposée à celle que nous avions connue depuis trois ans. Les chiffres du Bureau international du travail et de l'INSEE affichent une baisse du chômage pour le premier trimestre de 2020, mais je vous accorde qu'il s'agit d'une diminution en trompe-l'oeil, car le confinement a empêché certains chômeurs de rechercher un emploi, les sortant ainsi des statistiques. Ne prenons pas en compte ce chiffre, qui n'est pas suffisamment signifiant.

Les conséquences économiques et sociales de cette crise sanitaire sans précédent sont et seront également inédites. Face à cette situation exceptionnelle, le Gouvernement a agi avec rapidité et pragmatisme, en protégeant immédiatement les salariés grâce au dispositif de chômage partiel, devenu le plus protecteur d'Europe. Il l'a élargi à une dizaine de catégories qui n'y avaient pas droit, sujet que nous avons évoqué lors des questions au Gouvernement.

Beaucoup d'entre vous, dont Mme Dumont et M. Naegelen, ont insisté sur la nécessité de ne laisser personne au bord de la route. Dans le décret du 14 avril 2020, nous avons pris des mesures d'urgence pour adapter immédiatement les règles de l'assurance chômage, afin de lutter contre la précarité et de protéger les plus vulnérables. Mme Fabre a cité nombre de ces dispositions, que je souhaiterais détailler.

La première mesure est la prolongation des droits de toutes les personnes arrivées en fin de droits pendant le confinement. Le Gouvernement a décidé de prolonger automatiquement, sans aucune démarche, les droits aux allocations chômage de tous les demandeurs d'emploi arrivés en fin de droits non le 17, mais le 1er mars, et ce jusqu'au 31 mai 2020, soit après la fin du confinement – nous avons pris le parti de considérer les mois entiers.

Cette mesure exceptionnelle garantit aux demandeurs d'emploi concernés le versement de leur allocation jusqu'à la fin du mois civil au cours duquel est intervenu le déconfinement. Si, ce que personne ne souhaite, un reconfinement devait être décidé, cette mesure serait réactivée.

Monsieur Dharréville, compte tenu des interdictions administratives exceptionnelles qui frappent le secteur du spectacle vivant, pour des raisons que tout le monde comprend de lutte contre la propagation du virus, nous avons récemment pris une disposition, annoncée par le Président de la République, de prolongation exceptionnelle des droits des intermittents du spectacle jusqu'au 31 août 2021.

La deuxième mesure concerne la période de référence pour l'affiliation. Cette période, au cours de laquelle est recherchée la durée minimale d'affiliation requise pour l'ouverture d'un droit, est allongée de la durée du confinement, toujours élargi à des mois entiers. De vingt-quatre mois, la période de référence pour l'affiliation a ainsi été portée à vingt-sept mois. Il faudra alors, pour ouvrir un nouveau droit, avoir travaillé six mois au cours de ces vingt-sept mois.

La troisième mesure a trait à l'aménagement des conditions de la démission légitime : très vite, des salariés se sont inquiétés, légitimement, car ils avaient démissionné de leur emploi dans les jours ou les semaines ayant précédé le confinement, en vue d'une mobilité professionnelle : ils disposaient d'une promesse d'embauche, mais ils n'avaient pas encore pris leur poste. Ils se retrouvaient donc dans une situation terrible, sans emploi ni droit à l'assurance chômage. Nous avons ouvert un nouveau cas de démission légitime, afin que ces personnes bénéficient de l'assurance chômage.

La quatrième mesure a suspendu le délai pour la dégressivité de l'allocation chômage. Pour les personnes concernées par la dégressivité de l'aide au retour à l'emploi, le délai de six mois, à l'issue duquel l'allocation est réduite de 30 % pour les revenus les plus élevés, est suspendu pendant la durée de la crise sanitaire.

La cinquième mesure a reporté l'entrée en vigueur du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence au 1er septembre. Les périodes d'inactivité non couvertes par un contrat de travail lors du confinement ne seront pas prises en compte pour la détermination du salaire journalier de référence.

Vous m'avez également interrogée sur les mesures prises pour les saisonniers. Dans un premier temps, nous avons prolongé artificiellement les droits liés à la saison d'hiver, même si le contrat n'était pas allé jusqu'à son terme, pour que les personnes concernées puissent accéder à l'assurance chômage. Il apparaît maintenant que certains saisonniers des secteurs du tourisme et de l'événementiel n'ont pas assez travaillé pour bénéficier de l'assurance chômage. Ils continueront de subir, dans les prochains mois, des contraintes administratives qui rendront difficile le retour à l'emploi. Ce sujet sera à l'ordre du jour de nos discussions avec les partenaires sociaux dans les prochains jours, afin d'étudier les mesures spécifiques à prendre pour les saisonniers.

Il s'agit de mesures d'urgence, mais la crise va durer. L'enjeu essentiel, dans cette période, est de protéger. Notre but est qu'un maximum de travailleurs ne trouvant pas d'emploi aient droit à l'assurance chômage. Au-delà de ces mesures, notre boussole doit rester le pragmatisme. Les aménagements des règles de l'assurance chômage doivent être envisagés en fonction de la situation de l'emploi, tout en veillant à ce que les conditions d'une reprise de l'activité soient préservées. En effet, là n'est pas le moindre paradoxe de la période, les tensions sur le marché du travail n'ont pas disparu : même dans cette période de crise, certains secteurs connaissent des difficultés d'embauche.

De nombreux secteurs auront besoin, dans les prochains mois, de recruter pour redémarrer l'activité. Aujourd'hui, sur le site de Pôle emploi, il y a 452 660 offres d'emploi disponibles : ce nombre est un signe d'espoir, car il montre que le marché du travail n'est pas complètement à l'arrêt, mais il est évidemment inférieur à ce qu'il était avant la crise. Les recrutements ont diminué, mais n'ont pas disparu, et l'on constate que certains secteurs cherchent à recruter.

Il nous faut veiller à la pleine protection des demandeurs d'emploi, dans un contexte où la protection est plus importante que jamais, mais également aux besoins de recrutement des entreprises, dont beaucoup se trouvent dans une situation très difficile, qui pourrait perdurer au moment de la reprise de l'activité. Voilà pourquoi j'ai proposé aux partenaires sociaux de discuter très vite, dans les jours qui viennent, de l'aménagement des règles de l'assurance chômage pendant la crise et, plus largement, de l'ensemble des mesures propices à la relance de l'emploi et de l'apprentissage.

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