Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Cette question de l'indépendance est paradoxale, car cette pandémie nous révèle tout d'abord notre interdépendance face à un virus – quelques microns qui peuvent, sur la planète entière, jeter une perturbation qui met un tiers ou la moitié de l'humanité en confinement et crée un scénario-catastrophe inimaginable. Cette interdépendance est également celle qui me fait souvent dire, lorsque je rencontre les agriculteurs de notre territoire du Toulois, que la date de leur récolte de mirabelles dépend très certainement de la politique forestière et foncière de l'Australie, et que nos propres choix agricoles ont certainement des conséquences sur la température qu'il fera en Afrique subsaharienne – nous savons qu'une baisse de 20 % du rendement du mil, ce sont 100 millions de personnes qui devront monter sur des bateaux ou périr.

Bref, comme le confirme la place de plus en plus importante que prend désormais dans la pensée politique le concept One health, « une seule santé » en français, du fait du climat, des zoonoses, des épidémies, nous sommes terriblement et plus que jamais interdépendants : nous dépendons de nos addictions, de nos corruptions, des mafias du monde, et ce alors même que le multilatéralisme, dont nous avons besoin pour régler les questions qui se posent à l'humanité, est tombé totalement en panne.

C'est dans ce contexte que nous devons envisager la question de la souveraineté. Si nous la pensons comme une forteresse ou avec nostalgie, nous faisons fausse route. Ce n'est en tout cas pas celle que choisissent les sociaux-démocrates et les socialistes que nous sommes. Je préfère m'inspirer du chemin tracé par Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, dont le mari grand résistant fait partie de ceux qui ont assuré la souveraineté de notre pays pendant la guerre et durant l'après-guerre. Elle nous parle de souveraineté « solidaire ». Pour reprendre certains de ses termes, nous vivons dans une nostalgie de sociétés « solitaires » qui ne sont absolument pas adaptées aux évolutions du monde : il nous faut penser la souveraineté « solidaire ».

Cette souveraineté solidaire caractérise la capacité d'une communauté de nations – nous souscrivons totalement à l'hommage que le groupe MODEM vient de rendre à l'Europe – à participer au récit planétaire et à prendre sa part dans la recherche des solutions à apporter. C'est dans cet esprit que nous nous inscrivons. Le champ ouvert est immense tout comme l'espoir qu'il suscite. En effet, cette reconquête ne relève pas de la nostalgie, mais d'une perspective d'avenir dans le champ des savoirs. Je me réjouis que, dans le cadre du Green Deal européen, nous puissions faire avancer l'idée, promue par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement – INRAE – , par l'institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI – et par de nombreux centres de formations, entraînant avec eux dix-huit instituts européens, d'une Europe souveraine sur le plan alimentaire, capable d'échanger avec le Maghreb pour un équilibre en ce domaine – mais aussi dans une moindre mesure avec le reste du monde.

Cette Europe capable de s'affranchir de la dépendance au soja, cause de la déforestation de l'Amérique du Sud, capable, sur le plan agro-écologique, de se passer des pesticides, se dessine avec un horizon à trente ans, qui suppose de mobiliser le génie des savoirs de toutes les forces privées et publiques de l'Union. Ce programme à trente ans – One Health, zéro pesticide, autonomie alimentaire et échanges équilibrés – constitue bel et bien une perspective.

Elle suppose que nous investissions dans des « communs » : la terre n'est pas une marchandise, elle ne peut pas être achetée par une puissance, qu'elle soit américaine ou chinoise. Elle est propriété de la nation, partagée dans le cadre de règles de protection et de régulation entendues. Pourtant, cette régulation est aujourd'hui menacée : près de 20 millions d'hectares dans le monde sont accaparés par la puissance financière des multinationales. C'est la première cause de misère et de violence sur la terre.

En faisant enfin la réforme foncière que nous attendons, nous participerons à ce « commun ». Une seule santé, une Terre protégée : telle est notre perspective, celle d'une souveraineté reconquise avec des puissances privées et publiques qui s'accordent, avec nos capacités à penser un univers dans lequel notre nation et l'Union européenne apportent des solutions pratiques, qu'il s'agisse d'agriculture, d'adduction d'eau potable ou d'énergie. L'énergie, l'eau, la terre, autant de communs à protéger, de savoirs à conquérir et à partager en contribuant au récit du monde, en particulier grâce à la coopération avec les États africains.

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