Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du mercredi 20 mai 2020 à 15h00
Débat sur la pénurie de médicaments en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe :

La crise sanitaire provoquée par le covid-19 a placé sous les projecteurs la répartition mondiale des zones de production et ses dangers sous-jacents. Le secteur de la santé et du médicament n'échappe pas à ce constat. Ainsi, au début de l'année, des inquiétudes ont émergé à la suite de la décision de la Chine de mettre à l'arrêt ses usines de médicaments pour limiter la propagation du virus. La province du Hubei, considérée comme l'épicentre de l'épidémie, accueille sur son sol quarante-deux usines de médicaments, chinoises ou étrangères, dont l'un des quatre fournisseurs mondiaux de paracétamol.

Le 31 mars dernier, M. le ministre des solidarités et de la santé a reconnu devant cette assemblée l'existence de tensions sur les stocks de produits utilisés en anesthésie. Or ils sont fabriqués en Chine et en Inde pour l'essentiel. Dans ce contexte de pandémie mondiale, la chaîne d'approvisionnement en France en a été fortement perturbée. Ainsi, la crise sanitaire a mis en lumière, de façon plus prégnante encore, les tensions en matière d'approvisionnement en médicaments constatées au cours des dernières années.

Depuis dix ans, les ruptures d'approvisionnement se multiplient dans nos pharmacies. Lors de nos débats consacrés à l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'ai eu l'occasion de rappeler que le nombre de ruptures de stock signalées chaque année a été multiplié par près de vingt de 2008 à 2018, passant de 44 à 871. L'ANSM estime que leur nombre a encore augmenté en 2019, avec probablement plus de 1 200 médicaments manquants ou en risque de rupture, et il est à craindre que la situation ne s'améliore pas en 2020.

L'aggravation de la pénurie résulte principalement de deux raisons. La première est l'augmentation de la demande mondiale, provoquée notamment par le développement des systèmes de santé de grands pays tels que l'Inde et la Chine. La seconde est la délocalisation massive de la fabrication des substances pharmaceutiques actives, autrement dit des matières premières des médicaments.

Près de 40 % des médicaments commercialisés dans l'Union européenne ont été fabriqués dans un pays tiers ; 80 % des fabricants de leurs substances actives sont installés hors de l'Union européenne. L'Inde, la Chine et les États-Unis assurent plus du tiers de la production mondiale. Ainsi, la production de médicaments, auparavant bien implantée en Europe – principalement en Suisse et en France – , se déplace de plus en plus vers l'Asie, où les coûts de production sont plus faibles et les normes plus souples.

Monsieur le secrétaire d'État, vous connaissez mon engagement, réaffirmé chaque année lors de l'examen du PLFSS, dans la lutte contre la pénurie de médicaments, ainsi que pour la défense des médicaments innovants. La crise que nous vivons ne fait que dévoiler un phénomène dénoncé lors des précédents débats parlementaires, au cours desquels des solutions avaient été esquissées.

Je tiens également à évoquer le travail mené par mon prédécesseur, Jean-Pierre Decool, aujourd'hui sénateur, en sa qualité de rapporteur de la mission d'information sur les pénuries de médicaments et de vaccins. Il réclamait en urgence la mise en place d'une véritable stratégie industrielle, nationale et européenne, formulant des propositions à l'appui de sa demande.

La loi de financement de la sécurité sociale du 24 décembre 2019 s'inspire, dans son volet stratégique, de certaines idées issues de ce rapport sénatorial. Les nouvelles dispositions – pourtant plus que jamais d'actualité – , parmi lesquelles l'obligation faite aux laboratoires français de disposer d'un stock de sécurité de médicaments disponibles sur le territoire européen de quatre mois, n'entreront en vigueur que le 30 juin 2020.

En tout état de cause, cette stratégie doit être construite avec les acteurs de la filière. Au demeurant, l'efficacité des cellules de crise mises en place par les entreprises pharmaceutiques pour assurer – malgré les mesures de confinement – l'approvisionnement des hôpitaux pendant la crise sanitaire mérite d'être signalée.

Lundi 18 mai, le Président de la République a plaidé, au cours d'une conférence de presse commune avec la chancelière allemande, pour une Europe de la santé, évoquant notamment des capacités d'achat communes et coordonnées pour les traitements et les vaccins. La crise sanitaire à laquelle nous sommes tous exposés démontre avec force la nécessité d'une alliance européenne pour nos politiques de santé.

J'ai eu l'occasion de rappeler mon attachement à l'idée d'une stratégie commune, à l'échelon européen, en matière de politique industrielle du médicament. Si l'Europe nous protège des guerres, elle doit aussi contribuer à protéger notre santé. Pour lutter plus efficacement contre les phénomènes de rupture d'approvisionnement, je reste persuadé qu'il est nécessaire de favoriser la localisation en Europe de la production des matières premières et des médicaments d'intérêt stratégique sanitaire.

Monsieur le secrétaire d'État, ne pensez-vous pas que nous aurions intérêt à créer une liste de médicaments d'intérêt sanitaire stratégique permettant de s'assurer de leur disponibilité grâce aux stocks obligatoirement constitués ? Pouvez-vous préciser l'avancée de vos réflexions en vue de favoriser la localisation en France de la production de matières premières et des médicaments d'intérêt stratégique ? Quelles perspectives peut-on donner au projet d'un label « Fabriqué en France » ou « Fabriqué en Europe » ?

Ce faisant, nous aurions, me semble-t-il, une capacité nouvelle de nous protéger des ruptures d'approvisionnement dues à une défaillance ou à une indisponibilité de certaines unités de production, telles que celles que nous venons de vivre. Dans le même ordre d'idées, nous ne serions plus exposés à des surenchères de dernière minute, ou aux conséquences des difficultés du transport aérien, révélées par la crise.

À l'aune de l'expérience que nous venons de vivre, ne serait-il pas opportun de sécuriser la chaîne logistique d'approvisionnement du médicament sur tout le territoire national, de la métropole à nos territoires d'outre-mer ? Nous l'avons bien constaté au cours des dernières semaines : la santé relève majoritairement de la souveraineté nationale, ses remèdes aussi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.