Intervention de Cédric Villani

Séance en hémicycle du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative aux innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de covid-19 suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani :

Dissipons la confusion : le traçage n'est pas une traque, mais une opération de bon sens en temps d'épidémie. Tous les pays y ont recours pour lutter contre une épidémie inquiétante. Il s'agit de prévenir ceux qui auraient pu être infectés par une personne contaminée par le virus, afin de les isoler dans leur propre intérêt.

Il faut reconnaître avec humilité que les pays ayant réussi à affronter le covid-19 ont fait un large usage du traçage. Traçage manuel effectué par des humains, bien sûr, mais avec l'appui de la technologie. La question n'est pas de savoir s'il faut faire du traçage ou non, mais quels outils employer. Le pari fait en Europe tient à l'utilisation d'algorithmes pour renforcer l'efficacité des traceurs humains et retrouver des personnes que l'on n'aurait pas pu identifier par la seule mémoire humaine. Se fonder sur le Bluetooth, utiliser des algorithmes d'encryption – de chiffrement – et garantir, autant que possible, le respect de la vie privée grâce à des sécurités sont les composantes d'une solution qui n'a pas été imaginée par un gouvernement mais par un chercheur allemand : elle provient donc de la communauté scientifique.

Dès qu'on parle d'algorithmes et de données personnelles, les questions culturelles sont fondamentales. Il y a, dans ce pays, une grande peur, qui est normale. Notre mémoire collective a été marquée par la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle on a procédé à des fichages ethniques. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la France et l'Allemagne soient les deux États du monde les plus suspicieux sur l'usage algorithmique des données. Il faut le respecter et refuser de balayer ces arguments d'un revers de main.

Depuis la fondation de la CNIL en 1978, un organisme dont s'est inspiré tout l'Occident, la France a fait le pari de ne pas brider le développement technologique mais de l'encadrer par des garde-fous, en l'espèce des autorités indépendantes. La France ne s'est pas contentée d'instaurer la CNIL puisqu'elle a créé le corpus le plus exigeant au monde : le conseil national du numérique, le comité national pilote d'éthique du numérique, sans oublier, à l'échelon européen, le contrôleur européen de la protection des données.

Ils ont joué leur rôle : poser des garde-fous, préconiser, mettre en garde, proposer des améliorations. Nous devons faire confiance à nos institutions si nous voulons continuer à progresser et relever le pari du développement des outils technologiques dans le respect des libertés individuelles.

Y a-t-il des risques ? Oui : toute technologie comporte sa part de risque – risques de piratage, risques d'espionnage… Ce problème concerne tous les instruments technologiques que nous utilisons, jusqu'à nos fichiers et nos moyens de communication. Il ne s'agit pas de chercher une solution sans risque, mais d'en peser les avantages et les inconvénients. Les risques existent et ont même été recensés par des collectifs d'informaticiens. Je vous invite à les mettre en regard de l'objectif que cet outil nous permettrait d'atteindre : juguler une épidémie sans devoir confiner la population. Les bénéfices potentiels se chiffrent en plusieurs milliards d'euros. Le reste relève de l'éthique et chacun doit, en son âme et conscience, mesurer les avantages et les inconvénients.

Au-delà, trois débats sont majeurs : l'innovation, l'expérimentation et la souveraineté.

Le potentiel d'innovation de notre pays est extraordinaire mais, hélas, méconnu. La France s'ingénie à se mettre des bâtons dans les roues pour s'empêcher d'avancer. Je pense, en particulier, à l'intelligence artificielle, comme cela a été maintes fois dénoncé.

L'expérimentation est tout aussi bridée. On nous demande, avant d'expérimenter un dispositif, d'attendre qu'il ait fait les preuves de son efficacité ! Or, chers amis, la logique inverse s'impose en l'espèce, comme l'a justement relevé la CNIL. Il faut expérimenter le dispositif pour vérifier sa fonctionnalité et, le cas échéant, l'améliorer. C'est bien pour cette raison scientifique que la France a choisi de centraliser le mécanisme d'information plutôt que de le décentraliser.

Quant à la souveraineté, la France préfère, en cas d'épidémie, disposer de ses propres solutions qu'elle aura souverainement choisies, plutôt que de se voir imposer celles des grands acteurs américains.

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