Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Nous voulons mettre des étiquettes. Allons-y – des étiquettes pour le pays d'origine du miel, pour l'origine de la bière et du vin, pour la provenance de la viande dans les restaurants, et des applications pour l'information des acheteurs ou la liste des ingrédients en cas d'achat en ligne ! Nous voterons pour sans chipoter.

Toutefois, je ne veux pas nourrir ici une illusion, celle de la démocratie par le caddie. J'entends souvent poser la question : « Agir comme citoyen ne commence-t-il pas par nos achats ? ». Le bulletin de vote serait remplacé par une liste de courses, avec, sur les emballages, des garanties sociales, des promesses de local : je n'y crois pas !

Dans un supermarché, le citoyen raisonne – c'est fatal, c'est normal – avec un porte-monnaie dans le cerveau. Il y a plus de vingt ans, Whirlpool délocalisait la production de ses lave-linge en Slovaquie. « Quelles solutions envisagez-vous ? », leur demandai-je à l'époque. « Nous plaçons beaucoup d'espoir dans le commerce équitable », me répondit un délégué, ajoutant : « Demain, l'éthique peut devenir un critère d'achat. Les gens mettront bien 300 francs de plus – on parlait encore en francs – pour un lave-linge fabriqué dans leur pays ».

J'étais jeune, mais cette réponse me navra. C'était mettre un pansement sur une plaie béante. La mondialisation produisait une hémorragie, et qu'allait-on faire ? Mettre une étiquette dessus. Le cynisme des consommateurs ne risquait pas de sauver l'industrie !

Le cynisme des consommateurs ne sauvera pas davantage l'agriculture. Monsieur le ministre, l'an dernier, lors d'une séance de questions sur la mise en oeuvre de la loi EGALIM – le texte dont nous débattons en est un peu la queue de comète – , vous prôniez la montée en gamme et la relocalisation. En même temps, vous ratifiiez les accords du CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement – avec le Canada. Vous disiez l'un et faisiez l'autre.

Votre « en même temps » continue aujourd'hui. Le Président de la République et le Gouvernement plaident désormais pour la souveraineté alimentaire et en même temps, l'Union européenne signe un accord de libre-échange avec le Mexique, ouvrant notre marché à 20 000 tonnes de viande bovine mexicaine auparavant interdite sur notre continent pour raison sanitaire.

Le cynisme des consommateurs sauvera encore moins la planète. Je vous le dis, je le dis aux ouvriers, aux paysans, aux habitants : à présent, c'est la régulation ou la mort. On l'a vue, on l'a vécue, la mort de notre industrie ! Notre grand pays s'en est trouvé lamentablement impuissant à fabriquer des masques et des surblouses pour ses soignants. On l'aura, si cela continue – avec la chute des cours du lait, du blé, du porc, qui mène à la misère, avec un agriculteur sur trois qui vit avec moins de 350 euros par mois, et avec un nombre de fermes divisé par deux en vingt ans – , la mort de l'agriculture !

Et la planète ? Nous fonçons dans le mur ! La mondialisation, dénoncée par Nicolas Hulot, et les traités de libre-échange sont à l'origine de toute la crise que nous vivons. Si nous ne nous y attaquons pas, cela ne sert à rien : ce n'est pas en installant trois éoliennes que nous y arriverons. Le président de la République lui-même l'a reconnu : c'est une folie ! Mais c'est une folie voulue, une folie organisée, une folie construite patiemment, comme une toile d'araignée, traité après traité.

Contre cette folie des marchés et de la mondialisation, il faut de la régulation. Vous le savez, vous le sentez ; mais notre tragédie, l'immense contradiction que nous traversons, c'est que cette voie de la régulation vous est psychologiquement, culturellement interdite. La mondialisation est au coeur de votre programme. Oh, ça se change, ça s'oublie, un programme ! Mais au coeur de votre esprit et de votre idéologie, il y a, gravées dans le marbre, la concurrence libre et non faussée, la libre circulation des capitaux et des marchandises.

Alors au lieu de réguler, vous bidouillez. Pour l'industrie, derrière les grands mots et les milliards que vous lui jetez, rien en vue : rien qui régule les flux de marchandises ; rien qui tempère le dumping. Pour l'agriculture, qu'avez-vous proposé l'an dernier ? Pas de prix plancher, pas de quotas d'importation ou de production, pas de coefficient multiplicateur : aucun de ces outils, guère novateurs, mais qui ont au moins fait leurs preuves durant des décennies. Michel-Édouard Leclerc lui-même était prêt. Si la pauvreté de nos agriculteurs, nous disait-il, est une cause nationale, alors très bien : fixons un prix minimal. Il y a bien un salaire minimum ! Pourquoi ne pas instaurer un prix minimum du lait et de la viande ? Mais, pour vous, c'était toucher au dogme : à la place, on s'en souvient, vous avez monté une usine à gaz législative, des accords-cadres où le prix est déterminé en tenant compte « d'un ou de plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production ». Bref, de l'imbitable inapplicable, et finalement inappliqué !

Sur les femmes de ménage, ce matin en commission, c'était le même débat : vous ne voulez pas réguler, même quand le marché ne marche plus, même quand il est formidablement déséquilibré, même quand il écrase les vies de femmes et d'hommes ! C'est un tabou.

Mais voilà le choix devant nous : la régulation ou la mort. Je le redis : l'éthique sur l'étiquette, oui ; mais cela ne nous sortira pas de la folie.

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