Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Le premier volet de mon intervention concerne l'objet central de la proposition de loi, qui est celui des indications d'origine et de la traçabilité des productions agricoles. Sur ce point, le seul article qu'il nous appartient d'adopter aujourd'hui ne suscite pas de remarque particulière de ma part, puisqu'il vient renforcer la traçabilité des bières.

Je renouvellerai donc notre vote favorable sur l'ensemble de ce texte, tout en regrettant qu'il reste en retrait s'agissant de l'exigence de mention du pays d'origine, ainsi que des appellations trompeuses.

Dès 2013, j'avais déposé une proposition de loi visant à rendre obligatoire l'indication du pays d'origine pour tous les produits agricoles et alimentaires, à l'état brut ou transformé. L'expérimentation et l'incitation, produit par produit, filière par filière, et secteur de vente par secteur de vente, sont, certes, de premières avancées. Mais il nous faut toujours viser l'obligation réglementaire de la mention du pays d'origine, et j'insiste sur le mot « obligation ». Pourquoi ? D'une part, parce qu'elle répondrait à la demande d'information claire du consommateur et permettrait de faire face efficacement au foisonnement d'initiatives de marketing visant à s'en détourner. D'autre part, parce qu'il s'agirait du premier outil de protection pour les producteurs contre la concurrence déloyale et l'arme commerciale majeure que constituent les importations.

Le monde des capitalistes bisounours n'existe pas. Les importations de produits agricoles continueront d'être un redoutable levier de pression sur les prix d'achat aux producteurs, favorisant la croissance des marges et de la rentabilité financière des grands groupes de la distribution et de l'agroalimentaire. Imposer la mention de l'origine sur tous les produits bruts ou transformés, c'est mettre un petit coin dans ces stratégies d'accaparement de la valeur ajoutée. Si les résistances sont si fortes et que certains – voire beaucoup – d'entre nous bataillent depuis si longtemps en faveur de cette obligation de la mention d'origine, c'est bien parce qu'une telle réglementation portera atteinte à ces stratégies de profit des premiers de cordée de l'alimentaire. Poussons donc, en France et au niveau de l'Union européenne, à une réglementation très stricte et ambitieuse au service de l'intérêt général agricole et alimentaire.

Et comme « on n'est pas là pour beurrer les sandwiches », le second volet de mon intervention soulignera l'inconsistance, durant la crise sanitaire, de la politique agricole de la Commission européenne. Vous avez pourtant remercié cette dernière, monsieur le ministre, par un communiqué de presse que je qualifierais de laudatif. Or elle se trouve dans l'incapacité de fournir une analyse concrète de la situation en matière d'approvisionnement et concernant les tensions à venir sur les marchés alimentaires. Les outils statistiques n'existent plus, ou sont si peu fiables que l'on ne prédit plus grand-chose.

La plupart des échanges que nous avons eus ces dernières semaines avec les acteurs agricoles démontrent pourtant que l'ensemble de nos productions et de nos filières sont – ou seront à court terme – affectées. Les marchés agricoles seront plus instables que jamais. Des dizaines de milliers d'exploitations risquent – j'insiste sur le verbe « risquer » – d'être acculées, faute de débouchés, faute de prix garantis, faute de stocks abondants, faute de main d'oeuvre.

Quant à la crise alimentaire, elle ne menace pas seulement 100 millions de personnes de plus dans les pays du Sud, comme le souligne le Programme alimentaire mondial des Nations unies : elle concerne déjà des millions d'Européens supplémentaires, et donc de Français, qui sont ou seront dans l'incapacité de subvenir à leurs besoins alimentaires élémentaires. La crise sanitaire est en cela révélatrice d'une impasse politique, celle de la libéralisation du secteur agricole menée à marche forcée ces trente dernières années.

À force de liquider les outils de régulation de la PAC, qu'il s'agisse des garanties de prix d'achat ou de la gestion des volumes, à force de vouloir faire des agriculteurs européens de simples compétiteurs alignés sur les cours des marchés internationaux, l'Europe agricole se retrouve l'arme au pied. Si le coeur du débat est de savoir si nous allons débloquer les 500 millions d'euros du fonds de réserve de crise ou tergiverser pendant des mois sur la possibilité de mobiliser des fonds européens de soutien supplémentaires, nous serons totalement à côté de la plaque.

Monsieur le ministre, la question centrale est de rebâtir au plus vite une véritable politique agricole et alimentaire commune avec les protections et les outils d'intervention publique qui s'imposent, et en commençant par jeter par-dessus bord l'obsession libre-échangiste de l'Union. Prenez l'initiative, si ce n'est déjà fait, d'une nouvelle conférence de Stresa pour une refondation de la PAC. Chacun des Vingt-Sept doit être mis face à ses responsabilités. À défaut, la politique agricole commune entendra chanter les anges.

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