Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du mardi 2 juin 2020 à 21h30
Don de congés payés sous forme de chèques-vacances aux membres du secteur médico-social — Présentation

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

En nous rappelant brutalement la fragilité de nos existences, la période inédite que nous vivons engendre des incertitudes d'une nature et d'une ampleur qui déjà semblent rejeter nos habitudes dans le passé. Cette épreuve a, je crois, profondément aiguisé la quête de sens et de solidarité, tant à l'échelle individuelle qu'à l'échelle collective. Le confinement n'a pas bridé cette aspiration, au contraire : il l'a stimulée, renforcée, décuplée, de sorte qu'à la question de savoir pourquoi, liée à l'effet de sidération provoqué par une menace aussi abrupte qu'inconnue, s'est rapidement substituée la question de savoir comment. Beaucoup de nos concitoyens se demandent : « comment puis-je, à mon échelle, aider ceux qui affrontent directement l'épidémie, dont nous savons désormais que les répercussions sociales et économiques seront sans précédent ? »

L'addition de ces interrogations individuelles s'est traduite par un élan commun, donnant lieu à de multiples formes de solidarité dans le pays, faisant vibrer à l'unisson l'engagement des uns et l'altruisme des autres, et incarnant toujours la vitalité du lien social qui nous unit. C'est sur ce terreau fertile qu'a germé, dans l'esprit de certains de nos concitoyens venus de divers endroits, l'idée de témoigner leur reconnaissance aux acteurs de la première ligne, les soignants et les personnels médico-sociaux, pas simplement par des applaudissements, mais via le don de jours de repos et leur monétisation. Grâce à un travail d'écoute du terrain, mesdames et messieurs les députés, vous avez été les relais actifs des diverses expressions de cette même idée originale. Donner un aboutissement concret à une idée, révéler pleinement et aisément ses effets potentiels dans la réalité : telle est l'exigence, l'essence même du débat parlementaire, dont chacun d'entre vous sur ces bancs est l'artisan.

Lors de mon audition par la mission d'information de la conférence des présidents de cette Assemblée, le 22 avril dernier, j'avais indiqué qu'il s'agissait d'une piste intéressante. Elle contribue à mon sens à façonner ces nouvelles solidarités que le Président de la République a appelées de ses voeux. La proposition de loi que vous venez de présenter, monsieur le rapporteur, permet aux salariés du secteur privé, et désormais aux agents du secteur public, qui le souhaitent, de faire don d'une partie de leurs jours de repos pour financer des chèques-vacances au bénéfice des personnels des secteurs sanitaire et médico-social mobilisés pendant l'épidémie de covid-19. Je salue le fait que cet acte de générosité contribuera dans le même temps à relancer le secteur du tourisme, très fortement affecté par la crise sanitaire.

La commission a complété le texte à plusieurs niveaux. Le premier concerne le périmètre des bénéficiaires des dons, avec la mention explicite des étudiants, ainsi que l'introduction d'un plafond maximal de rémunération, fixé au triple du SMIC. Vous avez également voté la création d'un compte spécifique au sein de l'Agence nationale pour les chèques-vacances, l'ANCV, pour que les particuliers non salariés – indépendants, retraités, députés et autres – puissent participer à l'initiative. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces mesures lors de la discussion des articles.

Toutefois, comme cela a été rappelé en commission, et je voudrais insister sur ce point, il va de soi que cette proposition de loi n'est nullement destinée à se substituer aux politiques publiques, qui visent à répondre dans la durée aux difficultés structurelles des secteurs, que ce soit celui de la santé, le secteur médico-social ou celui du tourisme. S'agissant du premier, outre le chantier engagé avant la crise sanitaire avec le plan « Ma santé 2022 », le ministre de la santé et des solidarités Olivier Véran a fait ces dernières semaines des annonces significatives – je pense notamment au versement de primes pour les personnels soignants, aux mesures financières pour l'hôpital, ainsi qu'à une meilleure prise en charge de la dépendance. Elles sont du ressort des politiques publiques. L'élan de solidarité, qui vient en complément, est un autre sujet ; il ne faut pas confondre les deux.

Vous le savez, la semaine dernière, le Premier ministre et Olivier Véran ont lancé le Ségur de la santé. Cette grande concertation, impliquant près de 300 acteurs du système de santé, répond à l'engagement du Président de la République d'élaborer, à l'issue de la crise, un plan massif d'investissements et de revalorisation de l'ensemble des carrières. Le Ségur de la santé repose sur quatre piliers : la transformation des métiers et leur revalorisation, une nouvelle politique d'investissements et de financement des services de soins, la simplification radicale des organisations des équipes, en donnant plus de leviers de décision et d'action, et la fédération des acteurs de la santé dans les territoires, au service des usagers. Les conclusions de ces travaux sont attendues en juillet – il est important de le garder à l'esprit au moment où vous allez ouvrir le débat.

Ces conclusions doivent permettre de tirer collectivement les leçons de l'épreuve traversée et de bâtir, en lien avec les orientations de « Ma santé 2022 », les fondations d'un système encore plus moderne, plus résilient, plus innovant en matière de santé, mais aussi plus souple et plus à l'écoute des professionnels, des usages et des territoires. Sur ce point, la crise qui, comme toute crise, apporte beaucoup de difficultés, mais aussi quelques atouts, a montré qu'il était possible d'agir autrement.

Concernant le secteur du tourisme, que vous souhaitez également soutenir par votre proposition de loi, le Premier ministre a annoncé le 14 mai dernier le lancement d'un plan de soutien interministériel d'une ampleur exceptionnelle – 18 milliards d'euros, dont 9 milliards d'aides directes. Les entreprises du tourisme continueront à pouvoir recourir à l'activité partielle avec une prise en charge à 100 %, dans la limite de quatre fois et demie le SMIC ; le bénéfice du fonds de solidarité leur restera ouvert jusqu'en décembre 2020, de manière également dérogatoire, et 9 milliards sont consacrés au financement, avec notamment la création d'un prêt tourisme, qui permettra aux acteurs de « tenir » deux saisons estivales. Par ailleurs, le Gouvernement poursuit son travail avec les filières et les territoires sur ces sujets.

Alors que nous allons nous concentrer sur cette initiative qui vise à permettre la solidarité, répondant ainsi aux demandes de nos concitoyens, je voulais rappeler ce contexte afin que nous ayons bien en tête la distinction entre ce qui est du ressort de l'aide publique et ce qui est du ressort du volontariat des citoyens – les deux ne se confondent pas.

Nos débats vont s'inscrire dans l'état d'esprit originel de l'élan de solidarité qui émane de nos concitoyens, que vous avez évoqué et que je vous invite à suivre, au nom du Gouvernement, en adoptant cette proposition de loi.

D'une certaine façon, la concrétisation de cet état d'esprit fait écho à la formule d'Antoine de Saint-Exupéry : « Être homme, c'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde. »

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