Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 4 juin 2020 à 9h00
Plafonnement des frais bancaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

La commission des finances a auditionné, il y a peu, le président de la Fédération bancaire française, M. Oudéa. Face à nos questions et à mon indignation concernant le sujet qui nous occupe, il a réagi ainsi : « Personnellement, je suis toujours très surpris que, pour les frais bancaires, 25 euros, avec un conseiller qui est là et qui sache répondre, soient jugés très élevés par rapport à la facture téléphonique que je paye – sans m'adresser spécialement à quelqu'un. »

Le procédé rhétorique, que vous avez un peu repris, monsieur le ministre, est habile mais absurde. Premièrement, M. Oudéa oublie que les banques ne nous rendent pas un service en gérant notre argent : elles l'utilisent, et c'est même à partir de cet argent qu'elles dégagent des bénéfices. Deuxièmement, ses propos occultent le fait que tout le monde ne bénéficie pas actuellement, tant s'en faut, de cette limite de 25 euros. Selon une étude réalisée par le magazine 60 millions de consommateurs, toutes les banques, à l'exception de la Banque Postale, facturent le maximum de frais d'incidents bancaires par opération ; en d'autres termes, le plafond de 25 euros vole en éclats. Surtout, M. Oudéa veut nous faire croire que la cherté de certaines choses – en l'espèce, celle des services téléphoniques, mais pourquoi pas celle du coiffeur ou du kilo d'asperges ! – justifierait le montant astronomique des frais bancaires que subissent de plus en plus de personnes dans notre pays, et pas seulement les plus pauvres. Eh oui, chers collègues, quand on est pauvre, tout est trop cher.

Les revenus dont nous parlons sont estimés à 6,5 milliards d'euros, dont 4,9 milliards – vous avez bien entendu – entrent dans les 23 milliards de bénéfice net réalisés par l'ensemble des banques françaises. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne s'agit pas de sommes dérisoires pour les banques ! J'affirme donc que les sommes engrangées sont non seulement absurdes et injustes, mais reposent sur des sacrifices cauchemardesques imposés au quotidien à un nombre croissant de nos concitoyens.

Pour certains, ce plafond de 25 euros – qui n'est même pas appliqué partout et à tous – semble représenter une somme dérisoire, au point de prêter à sourire. Pour d'autres, et ces autres sont de plus en plus nombreux, cette somme représente les frais alimentaires de la famille pour la semaine, voire pour le mois. Je vous le dis solennellement, dans le 93, le département de la Seine-Saint-Denis où le rapporteur et moi-même sommes élus, la crise a frappé si fort que le préfet lui-même a parlé de risque alimentaire et craint des « émeutes de la faim ».

Parmi les témoignages que La France insoumise a recueillis au cours de la période – le rapporteur en a cité plusieurs – , il y a celui d'une association auprès de laquelle une mère de famille a admis se priver de manger pour pouvoir nourrir ses enfants. Je vous assure que pour vivre, cette dame, comme beaucoup d'autres, est chaque mois non pas à 25 euros près, mais au centime d'euro près. C'est dans ce contexte, d'ailleurs rappelé par le ministre, que je m'exprime devant vous, mes chers collègues, et que vous aurez à vous prononcer pour ou contre la proposition de loi.

De quoi s'agit-il concrètement ? Il s'agit d'affirmer, grâce au texte que vous avez entre vos mains, que 2 euros de frais bancaires par incident, 20 euros par mois et 200 euros par an, c'est déjà bien assez, que cela doit être un maximum et que cela doit s'appliquer à tout le monde. C'est une proposition de bon sens et de progrès social ; c'est une nécessité absolue, à plus forte raison du fait de la crise sociale que nous vivons. Je veux bien entendre que ces incidents ont un coût pour les banques, mais, je le répète, celui-ci est franchement dérisoire par rapport aux bénéfices.

En effet, les sommes facturées ne sont en aucun cas proportionnées, ni raisonnables. En réalité, nombre des actes en question sont facturés de manière automatisée et ont un coût dérisoire par rapport aux sommes prélevées. Par exemple, un rejet de prélèvement peut être facturé 20 euros au client, alors que son traitement administratif coûte seulement 20 centimes environ. Non seulement il s'agit là d'un bénéfice net cent fois supérieur, mais ce bénéfice se nourrit de la douleur et de la difficulté des plus pauvres. Qui plus est, cela repose sur le mythe violent et infantilisant selon lequel il faudrait faire payer les pauvres et, plus largement, tous ceux qui sont en difficulté, pour qu'ils comprennent. Comme si la galère résultait d'un choix ou simplement d'un manque de volonté. C'est là une logique mortifère. Nous ne la renverserons peut-être pas en un claquement de doigts, mais nous pouvons ici aujourd'hui commencer par limiter son caractère indécent, en atténuant l'injustice et la précarité.

Dans le cas des frais bancaires, punir, c'est anéantir. Car cela a un résultat très concret : pour les usagers en situation de vulnérabilité financière, les frais d'incidents bancaires et agios représentent en moyenne un coût annuel de 296 euros – il atteint parfois plusieurs milliers d'euros ! – , contre 34 euros seulement pour l'ensemble de la population. C'est une spirale sans fin, une trappe à pauvreté. Du fait de ces frais bancaires, un pauvre risque de devenir plus pauvre encore, au point de se retrouver sans logement ou dans des conditions absolument catastrophiques, voire d'être exclu de toute vie sociale.

L'adage dit que l'on ne prête qu'aux riches. La réalité est plus cruelle : aux riches, on prête en partie de l'argent que l'on pique ainsi aux plus pauvres. Vous relèverez le paradoxe : plus vous êtes riche, plus les banques vous appliquent des taux d'intérêt faibles ; plus vous être pauvre, dès lors que vous avez précisément des problèmes bancaires, plus ces taux d'intérêt sont élevés, qu'il s'agisse des taux d'intérêt en tant que tels ou que cela résulte des frais d'incidents bancaires. Les associations parlent même de « rente des frais d'incidents ». Comment peut-on, de quelque façon que ce soit, trouver raisonnable que des incidents dus par définition à des problèmes de précarité ou de pauvreté puissent conduire à devoir reverser de telles sommes supplémentaires et que celles-ci ne soient même pas limitées strictement et fermement par la loi ?

Nous voulons une loi, monsieur le ministre, non pas un décret dont le respect dépendrait, là encore, du bon vouloir des banques, quand bien même vous mettriez en avant le nom de celles qui n'honorent pas leurs engagements. Nous voulons une loi, parce que la mesure doit concerner tous les Français. De grâce, cessez d'affirmer, de manière démagogique, que nous voulons désormais favoriser les riches ! J'aimerais bien savoir combien de personnes en France, parmi les 1 % les plus riches, paient des frais bancaires… En appliquant la nouvelle règle à quelques millions de Français seulement, vous ignorerez tous les autres, y compris ceux qui, dans les classes moyennes, peuvent se retrouver en difficulté précisément du fait de ces incidents bancaires.

Les promesses du Gouvernement et celles des banques ne suffisent pas, d'où l'utilité de notre assemblée et l'intérêt de légiférer pour toutes et tous, l'égalité républicaine devant s'imposer sur tout le territoire et, surtout, à toutes les banques, sans condition. Nous pouvons, nous devons décider ici d'imposer des contraintes qui ont du sens et qui vont dans le sens du bien commun.

Nous avons déjà fait les frais, dans cet hémicycle – je me souviens notamment d'un texte examiné il n'y a pas si longtemps au cours d'une niche du groupe UDI – , de consignes gouvernementales consistant à repousser un texte de pur bon sens au motif qu'il émanait de l'opposition, le Gouvernement arguant qu'il préparait un texte meilleur pour plus tard. En l'espèce, il s'agit d'un décret.

Le Gouvernement reconnaît que le problème persiste – j'ai été content de vous l'entendre dire, monsieur le ministre ; je pense que c'est largement dû à notre action et à la proposition de loi de mon collègue Alexis Corbière. Il le reconnaît si bien qu'il met un projet de décret en face de cette proposition de loi. Ce décret n'est pas suffisant, je vous l'ai dit, mais il indique que vous prenez en considération la situation.

Mes chers collègues, vous ne devriez donc pas fermer les yeux sur la proposition qui vous est soumise aujourd'hui. Le Gouvernement reconnaît le problème. Pour notre part, nous pensons que c'est par une loi que le législateur peut décider de nouvelles règles et les imposer aux banques ; à défaut, celles-ci ne les appliqueront pas ou essaieront de les contourner. La manière dont elles ont pratiqué le plafonnement de 25 euros l'a prouvé, je vous l'ai déjà démontré. Raison de plus pour prendre notre proposition au sérieux et à la lettre.

En effet, on ne peut pas vouer une confiance aveugle aux banques, dont beaucoup continuent, on le sait, à se nourrir de la misère et de la dépendance à leurs services. Nous l'avons encore constaté pendant la crise : les frais de carte bancaire ont été augmentés pour les commerçants sous prétexte que le plafond du paiement sans contact a été relevé. En outre, les professionnels ont été exclus du champ des bénéficiaires du plafonnement non contraignant des frais bancaires, alors que celui-ci est tout aussi nécessaire pour nombre d'indépendants, d'artisans, de commerçants et de TPE que pour les particuliers. Il n'y a aucune raison que tel soit le cas ; il n'y a aucune raison de ne pas changer cette règle. C'est ce que nous vous proposons, d'autant plus que les indépendants ont été particulièrement touchés par la crise et que, dès lors, le fonds de solidarité risque de financer des frais bancaires plutôt que leurs besoins réels.

On ne devrait pas avoir à se demander qui entre ou sort de la catégorie des plus vulnérables ou des plus fragiles pour appliquer une mesure aussi simple et logique. Personne ne devrait avoir à payer plus de 2 euros par incident, 20 euros par mois, 200 euros par an de frais bancaires tout inclus. Vous reconnaîtrez le caractère plus que raisonnable de la proposition de loi que nous présentons.

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