Intervention de Sylvie Tolmont

Séance en hémicycle du lundi 8 juin 2020 à 21h30
Débat sur l'évaluation des politiques publiques en matière d'accès à l'ivg

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Tolmont :

La crise sanitaire et la période de confinement ont constitué un grave obstacle à l'accès à l'IVG et ont entraîné un recul manifeste de l'exercice de ce droit par les femmes – un droit qui, nous le savons, est toujours militant et jamais tout à fait triomphant. La confirmation nous en a été donnée dans plusieurs pays étrangers, comme la Pologne, où la crise a servi de prétexte, médiocre et honteux, pour tenter de remettre en cause ce droit. Si la France n'a heureusement pas eu à subir un tel relent rétrograde, notons toutefois qu'avant la crise, l'accès à l'IVG n'était pas uniformément garanti sur le territoire national, bien qu'il soit un droit reconnu pour toutes les femmes. Je le dis avec d'autant plus de certitude qu'en 2018, dans ma circonscription par exemple, la pratique de l'IVG a été empêchée pendant près de neuf mois à l'hôpital de Bailleul, un médecin étant parti à la retraite et les autres praticiens faisant valoir la clause de conscience.

Peu de temps après l'annonce du confinement, des centres d'IVG ont alerté les pouvoirs publics d'un faible taux de sollicitation, laissant augurer le risque de multiples demandes hors délai. Ce faible recours s'explique aisément : peur de contracter la maladie, réticence voire honte de solliciter des hôpitaux déjà mis sous pression par l'épidémie, diminution de l'accueil physique du planning familial et des autres associations oeuvrant pour les droits des femmes, restrictions de déplacement, ou encore violences intrafamiliales. Dans une tribune parue le 31 mars, plus d'une centaine de professionnels, soutenus par de nombreuses personnalités, ont demandé que des mesures soient prises pour garantir les droits des femmes et l'accès à l'IVG pendant la crise. Fin avril, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes s'alarmait de voir cette situation sans précédent aggraver encore la pénurie de médecins pratiquant l'IVG, et entraîner une restriction du droit de chaque femme à disposer de son corps.

Si des mesures ont été prises – comme l'extension de l'IVG médicamenteuse hors établissement de santé jusqu'à la septième semaine de grossesse – , elles restent malheureusement insuffisantes. En effet, l'IVG médicamenteuse n'est pas adaptée à toutes les situations, notamment en raison des douleurs qu'elle peut provoquer. Plus encore, l'incitation à recourir à ce mode d'avortement est problématique au regard de la liberté de choix des méthodes – liberté formellement reconnue par le code de la santé publique. Par ailleurs, cette solution laisse sans suite deux des principales demandes de la tribune précitée, notamment celle d'une extension provisoire du délai de recours à l'IVG instrumentale de douze à quatorze semaines de grossesse.

La gravité de la situation et les enjeux sous-tendus par le droit à l'avortement – comme la libre disposition de leur corps par les femmes, la protection de leur intégrité physique et, plus fondamentalement, leur droit de décider de fonder une famille ou non – , militent pour un allongement des délais de recours à l'IVG. Nous devons le défendre, précisément parce que les conditions matérielles d'exercice du droit d'avortement sont restreintes. Renoncer à cet allongement, c'est renoncer à ce droit ; contraindre une femme à assumer une maternité, sachant les répercussions que cela aura sur son existence, c'est fouler aux pieds nos valeurs et nos droits.

Le ministre des solidarités et de la santé a certes entrouvert la voie à l'IVG pour motif de détresse psychosociale, mais elle n'est pas pleinement satisfaisante : en effet, le collège devant se prononcer doit compter un spécialiste en médecine foetale, condition qui n'est pas justifiée par le motif invoqué et qui rend difficile la réunion d'un tel collège. J'irai même plus loin : cette solution n'emporte pas mon adhésion, car elle a pour effet de déposséder la femme de l'exercice exclusif du droit à l'avortement, et de le conditionner à la volonté d'autrui. Il s'agit là d'une insupportable régression.

Le pire est devant nous : l'explosion de 330 % des difficultés signalées au planning familial – obstacles dans le recours à l'IVG, manquements au droit, violences, dépassements des délais légaux – , tout comme l'augmentation de 184 % des demandes d'IVG hors délais, accréditent l'hypothèse d'un foisonnement de naissances non désirées. Un allongement des délais, strictement encadré, est indispensable pour assurer aux femmes l'exercice d'un droit dont elles ont été illégitimement privées – Laurence Rossignol l'a d'ailleurs défendu au Sénat lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19. Avec ma collègue Marie-Noëlle Battistel, membre de la mission d'information sur l'accès à l'IVG, nous soutenons également cette demande. L'année dernière, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes s'est elle-même déclarée favorable à un allongement raisonnable des délais légaux de l'IVG, qui serait, selon ses mots, « une avancée pour les droits des femmes, mais aussi et surtout pour la santé des femmes ».

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