Intervention de Hubert Julien-Laferrière

Séance en hémicycle du mardi 9 juin 2020 à 15h00
Débat sur le soutien à l'économie face à la crise due au covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Julien-Laferrière :

Le monde d'après ressemblera-t-il au monde d'avant en pire, ou bien saurons-nous relancer notre économie de façon à construire un monde conciliant prospérité, bien commun, solidarité et préservation du vivant, une économie intégrant l'idée selon laquelle chacun a intérêt au bien-être de l'autre ? J'aborde déjà, au fond, la deuxième partie de la question posée dans l'intitulé de ce débat, dont je m'attendais à ce qu'il fasse réagir certains de nos collègues. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'on peut deviner, à la simple lecture d'une question faisant l'objet d'un débat dans le cadre de la semaine de contrôle du Parlement, quel groupe l'a déposée… Nous sommes donc invités à nous prononcer sur « la sincérité et le rétablissement des finances publiques ».

La sincérité est réelle : on peut affirmer qu'on y voit désormais plus clair, toutes les mesures fiscales étant, depuis 2018, rassemblées dans le seul projet de loi de finances. On en a ainsi terminé avec les PLFR intempestifs que l'on connaissait auparavant. Comme Laurence Vichnievsky l'a rappelé, la Cour des comptes s'inquiétait, par le passé, de l'insincérité des lois de finances.

S'agissant du rétablissement des finances publiques, en revanche, on peut s'interroger, comme plusieurs de nos collègues viennent de le faire. Je n'ignore pas les raisons pour lesquelles le rétablissement des finances publiques n'a pas été au rendez-vous, contrairement à ce que nous espérions. Il est même heureux que le déficit se soit creusé pour répondre aux crises que nous avons connues. A-t-on cependant procédé au toilettage tant attendu des niches fiscales, crédits d'impôts et abattements divers ? La Cour des comptes s'en est récemment inquiétée. C'est pourtant bien dans cette période de relance qu'il faut s'y atteler, y compris pour garantir la sincérité des comptes à long terme.

La Banque de France vient de l'annoncer : la crise nous fera perdre, cette année, 10 points de PIB, que nous devrions récupérer en deux exercices. La somme des liquidités qui seront injectées par l'État et l'Union européenne est sans précédent, comme l'est la crise que nous traversons. Chacun sait néanmoins que les liquidités ne garantissent pas automatiquement la solvabilité. Les autorités procèdent à des rachats d'actifs, mais quels actifs ? Elles accordent des subventions, mais dans quels secteurs ? À l'injection de liquidités doit répondre la confiance des consommateurs et des investisseurs, qui ont épargné 55 milliards d'euros en seulement deux mois de confinement. S'il est vrai que la consommation repart, les économistes nous alertent sur les effets de rattrapage, car l'euphorie des premières semaines de déconfinement ne présage pas forcément d'une reprise de la demande à long terme.

Surtout, nous devons penser non seulement au jour d'après mais aussi aux jours qui lui feront suite, c'est-à-dire au monde de demain. Ces sommes impressionnantes que les Français ont épargnées, dans quels secteurs de production seront-ils prêts à les dépenser demain ? Chacun ici connaît Tex Avery, même si aucun d'entre nous – j'ai vérifié – n'était né lorsqu'il a réalisé ses premiers dessins animés. Vous vous souvenez tous de ce personnage qui court jusqu'au bord de la falaise, puis, emporté par son élan, continue à courir alors qu'il n'a plus le sol sous ses pieds, avant de tomber soudain à pic. L'analogie n'est malheureusement pas de moi – elle est de Jacques Attali – , mais telle est effectivement la situation que nous connaîtrions si nous suivions les conseils de ceux qui estiment qu'il faudrait, au nom de la sauvegarde de l'emploi, soutenir l'économie d'avant, l'économie carbonée.

Profitons de ce moment où l'argent public soutient l'économie pour renforcer l'écoconditionnalité des aides. Améliorons la transparence quant aux bénéficiaires de ces aides, qu'il s'agisse du secteur automobile, où les aides à l'achat de véhicules doivent être dédiées aux véhicules propres, comme le prévoit le plan de relance déployé par l'Allemagne, ou du secteur aéronautique, où le soutien de l'État doit être conditionné à une stratégie de modération du transport aérien et au soutien à l'alternative ferroviaire. Saluons, dans le plan de 15 milliards d'euros annoncé hier, les fonds consacrés à l'innovation et à l'invention de l'avion décarboné du futur, mais demandons-nous s'il est vraiment nécessaire, au nom de la sauvegarde de l'emploi, d'acquérir pour 600 millions d'euros d'avions et d'hélicoptères militaires.

Investissons surtout dans le long terme – santé, éducation, recherche, énergies propres, agriculture, alimentation, mobilités durables, logement, culture, digital – pour construire une économie des biens communs, qui concilie emplois et bas carbone. La crise nous a fait prendre conscience des fragilités liées à l'organisation des chaînes de valeur mondiales. Organisons les relocalisations nécessaires dans les territoires par l'investissement public, de concert avec les collectivités locales.

Soutenons nos TPE et PME, riches en emplois, qui jouent le rôle fondamental de moteurs de l'économie de nos territoires et de la transition écologique de notre pays. Un PGE – prêt garanti par l'État – vert de 250 millions d'euros pour les accompagner dans cette transition écologique, c'est bien, évidemment, mais est-ce suffisant au regard des milliards d'euros prévus pour les grandes entreprises des secteurs de l'aérien et de l'automobile ? Il faudra aussi que ces liquidités dégagées financent l'économie des biens communs que nous appelons de nos voeux, car il est évident que tout le monde, l'économie d'hier comme celle de demain, viendra frapper à la porte de l'État et à celle de l'Europe pour émarger aux centaines de milliards.

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