Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du mardi 9 juin 2020 à 22h30
Débat sur le fonctionnement de la justice pendant la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Le Gouvernement a pris par voie d'ordonnances un ensemble de mesures destinées à répondre à la menace de l'épidémie et à protéger les professionnels et les justiciables, tout en préservant – c'était en tout cas son souhait – la continuité du service public de la justice. Dans le domaine pénitentiaire, un constat s'impose : non seulement les prisons n'ont pas été submergées par le virus, mais nous sommes passés de 72 400 détenus à 61 000 fin avril 2020. La remise en liberté de ceux qui étaient les plus proches de leur fin de peine et la réduction du nombre des entrants expliquent cette réduction de plus de 11 500 personnes. Nous proposions d'aller plus loin en retenant la possibilité d'un examen par le juge de l'application des peines d'une libération à moins de quatre mois de la fin de peine, plutôt qu'à moins de deux mois. Je pense toujours, madame la ministre, que nous devrions aller jusque-là.

Les juges d'application des peines, les procureurs, les avocats, mais aussi, au quotidien, les surveillants pénitentiaires et leurs directions se sont mobilisés de manière exemplaire et je veux leur dire ici notre reconnaissance. Les surveillants sont allés au travail sans masque, dans un lieu de confinement où la distanciation était difficile. Ils ont géré la suppression compliquée des parloirs et organisé des circulations internes et des quarantaines pour les entrants, de telle sorte que les maisons d'arrêt, en particulier, ne soient pas de potentiels clusters.

Si nous ne voulons pas à nouveau faire subir aux détenus et aux surveillants les conséquences de la surpopulation ni encourir une nouvelle condamnation de la part de la Cour européenne des droits de l'homme, nous n'avons pas d'autre choix que de faire perdurer les mesures prises pendant la crise sanitaire. Les directeurs des centres pénitentiaires voient croître le nombre d'incarcérations et craignent un retour de la surpopulation carcérale, que la politique volontariste de régulation menée par l'intermédiaire des procureurs ne suffira pas à prévenir. Or le risque sanitaire ne nous permet pas de retrouver les chiffres que nous connaissions avant l'épidémie.

L'octroi de 40 euros de crédit téléphonique est venu compenser l'arrêt des parloirs pendant le confinement, et cela a été apprécié. Mais, on le sait bien, c'est tout le dispositif qui est anachronique et injuste, parce qu'il coûte cher aux détenus, souvent en situation précaire. L'usage d'un téléphone portable bridé serait moins coûteux et constituerait un soulagement pour les détenus comme pour les surveillants pénitentiaires.

Le temps passant, la continuité du service public de la justice n'a pas été assurée de la même manière sur l'ensemble du territoire. Quelques juridictions ont tenté, dans le respect des gestes barrières, de poursuivre leurs activités au-delà des seules urgences et du domaine pénal, et cet effort a été salué localement par les avocats et les justiciables. Le barreau de Lyon, par exemple, qui n'est pas l'un des moindres, a signalé que le tribunal judiciaire de Grenoble et la cour de Montpellier avaient mis en place un processus de dépôt de dossiers dématérialisé par l'intermédiaire de la plateforme Atlas, mais que ce n'était pas la pratique dans d'autres juridictions. De telles disparités ont porté atteinte au principe d'égalité des usagers face au service public de la justice et compliqué la lisibilité de son action. C'est d'ailleurs pour cette raison que, le 22 avril dernier, nous avions adressé au Premier ministre et à vous-même, madame la ministre, une lettre demandant de faire évoluer ce plan sans attendre la date du 11 mai et de revenir au plus tôt au fonctionnement juridictionnel normal. Les grandes et petites juridictions et les tribunaux spécialisés pourraient ainsi, selon leurs moyens, s'engager dans le traitement de dossiers de fond en concertation avec les greffiers et les avocats, dans le respect des gestes barrières qui s'imposent à nous tous.

Dans les cas où les juridictions ont réduit leur activité aux affaires judiciaires urgentes, on a pu constater que des pans entiers de l'activité juridictionnelle avaient été suspendus, tout particulièrement dans le contentieux civil et prud'homal. Au-delà des questions juridiques, ce sont pourtant les vies des justiciables qui sont en jeu. Les professionnels de la justice qui ont pu nous parler décrivent d'ailleurs des tribunaux dans lesquels des audiences pouvaient se tenir en respectant les mesures de prévention sanitaire. Le plan de continuation de l'activité a donc été un cadre limitant.

En outre, on a très vite constaté que le télétravail était impossible pour les greffiers, faute de logiciel dédié à la procédure civile et d'ordinateurs portables. Les magistrats ont rendu leurs jugements, mais ceux-ci attendent une notification. Ce que les avocats pouvaient faire avec le RPVA, le réseau privé virtuel des avocats, la justice ne le pouvait pas, faute d'un équipement suffisant en logiciels et en matériel numérique. Le pénal a moins souffert, mais le civil est aux abois. Ainsi, les chambres civiles et correctionnelles et le juge du contentieux de la protection sont en grande difficulté. Il faut désormais un an pour une première convocation en cas de divorce, ce qui n'est pas supportable pour les justiciables. Il faut donc reporter l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 23 mars 2019, et pas seulement jusqu'à janvier ou mars 2021 : optons pour une seule et même date, qui pourrait être en septembre 2021, voire en janvier 2022, afin de laisser les juridictions retrouver un rythme normal.

Enfin, nous nous interrogeons sur l'extension de l'expérimentation concernant la chambre criminelle.

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