Intervention de Jean-Noël Barrot

Séance en hémicycle du mercredi 10 juin 2020 à 15h00
Débat sur le rapport d'information de la commission des finances sur le printemps de l'évaluation consacré à l'évaluation des politiques publiques 2020

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Noël Barrot :

Fallait-il, en cette année marquée par une triple crise sanitaire, économique et sociale, renoncer à nous livrer une fois encore à l'exercice ? C'eût été une erreur, et je me félicite, avec les députés du groupe MODEM et apparentés, que le président de la commission des finances et son rapporteur général aient souhaité nous inviter à évaluer, en même temps que l'exécution du budget 2019, l'impact de la crise sur celle du budget 2020, à mi-parcours.

S'agissant de l'exécution 2019, nous avons plusieurs motifs de satisfaction. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement s'est passé de décrets d'avance, ce qui n'était pas arrivé depuis trente ans. Sur 214 recommandations de la Cour des comptes ayant fait l'objet d'un suivi en 2018, plus de la moitié ont été intégralement ou partiellement suivies. Les sous-budgétisations identifiées par la Cour s'établissent à 1,4 milliard d'euros sur 330 milliards de dépenses, soit moins de 0,5 %, un niveau très inférieur à celui des années précédentes.

Il reste néanmoins du chemin à parcourir. Comme le rappelle la Cour des comptes, un quart du financement des politiques publiques ne transite pas par le budget général de l'État, ce qui ne facilite ni le pilotage, ni l'évaluation de ce dernier. Sont ainsi concernés les dépenses fiscales, pour 100 milliards d'euros, les impôts et les taxes affectés, pour 30 milliards, et les fonds sans personnalité juridique, dont nous avons eu l'occasion de débattre.

Par ailleurs, même si les sous-budgétisations peuvent désormais être considérées comme un vestige du passé, ou de l'ancien monde, comme disent certains, elles continuent néanmoins de troubler la gestion de deux missions en particulier.

Il s'agit en premier lieu des crédits programmés pour financer les opérations extérieures et les missions intérieures du ministère des armées. Ils restent inférieurs de 445 millions d'euros aux besoins constatés. Cependant, et c'est heureux, la sous-dotation atteint en 2019 son niveau le plus bas depuis 2012, grâce à l'augmentation progressive de la provision inscrite en loi de finances initiale.

En second lieu, l'aide aux demandeurs d'asile fait l'objet d'une sous-budgétisation chronique depuis onze ans. Je me permets de m'attarder sur ce sujet qui se trouve au coeur de la mission dont je suis corapporteur avec Stella Dupont.

Cette dépense est systématiquement sous-évaluée lors de la conception de la maquette budgétaire, en dépit des alertes récurrentes de la Cour des comptes et des rapporteurs spéciaux qui nous ont précédés. L'origine de ce mystère se trouve sans doute dans une sous-estimation de la croissance du nombre de demandes d'asile et dans une surestimation de la capacité de l'administration à faire baisser les délais de traitement de la demande d'asile.

Nous avons donc demandé au ministère de l'intérieur de nous transmettre sa méthode de calcul dans le moindre détail, pour que nous puissions en discuter lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. La sur-exécution du programme 303 « Immigration et asile » ne poserait pas de problème si elle n'était pas systématiquement compensée par une sous-exécution, également chronique, de l'autre programme de la mission, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Soyons attentifs à ce que ce dernier programme, dont les crédits ont été largement réévalués depuis deux ans, conformément aux engagements du Gouvernement en faveur de l'intégration des réfugiés, puisse être pleinement exécuté et à ce que les politiques sous-jacentes puissent avoir leur plein effet !

S'agissant maintenant de l'impact de la triple crise que nous traversons sur l'exécution du budget, je voudrais m'arrêter un instant sur les éléments notables mis en relief par les rapports spéciaux des députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.

Mon collègue Bruno Duvergé a travaillé sur le budget de la sécurité civile, budget fortement sollicité au cours de la crise, que ce soit pour soutenir l'activité opérationnelle des sapeurs-pompiers ou celle des moyens de transport, en particulier des hélicoptères, qui ont permis de répartir de façon très rapide les patients en divers points du territoire. Notre collègue conclut que l'exécution budgétaire 2019 a été rigoureuse. Toutefois, comme chaque année, des tensions sont apparues s'agissant des dépenses d'intervention, tensions qui risquent d'être renforcées en 2020. Le confinement et les règles sanitaires ont aussi rendu plus complexe l'organisation de la lutte contre les incendies de forêt. Nous porterons une attention particulière à ce sujet dans les prochains mois.

Mohamed Laqhila a rendu un rapport spécial sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, fortement frappés par le covid-19. Dans ces quartiers, l'État a mené une action rapide pour soutenir les populations les plus fragilisées et assurer une continuité pédagogique absolument déterminante. Les quartiers concernés par la politique de la ville, parfois plus sévèrement touchés par la crise que d'autres, devront faire l'objet d'une attention toute particulière au moment du plan de relance. L'évaluation des politiques existantes menée par notre collègue – en particulier celle de la politique de dépenses fiscales, dont l'efficacité reste à prouver – doit permettre de cibler au mieux cette relance.

Le rapport spécial de Jean-Paul Mattéi porte sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Notre collègue s'est interrogé sur l'équilibre financier de ce compte d'affectation spéciale. Si les cessions immobilières ont permis de créer un excédent confortable, les redevances domaniales restent encore trop faibles – elles le seront encore plus en 2020, du fait de la crise sanitaire. Cette dernière permet toutefois d'envisager un changement de paradigme dans la politique immobilière de l'État. Les nouvelles pratiques de travail, dont le télétravail, développé au cours de la crise, ainsi que la transformation numérique dans la relation aux administrés, plus que jamais nécessaire, doivent nous encourager à repenser la manière dont l'État doit gérer son patrimoine immobilier.

Sarah El Haïry a travaillé sur des sujets qui lui tiennent à coeur : la jeunesse et la vie associative. Ses travaux permettent de souligner l'excellent travail du fonds d'expérimentation pour la jeunesse, fonds que nous souhaitons voir élargi dans les prochaines années. La triple crise que nous traversons a aussi été un moment de fraternité pour nos concitoyens, ce qui se traduit par leur très fort engagement. Face à la crise sanitaire, les Français ont répondu par une volonté décuplée de venir en aide à leurs compatriotes, en particulier grâce au dispositif de la réserve civique. Cette volonté d'engagement pourrait toutefois conduire à de nouvelles dépenses, qu'il faudra le cas échéant financer.

Plus largement, la crise sanitaire a montré à quel point les associations sont indispensables à la vie de la nation. Elle a aussi fragilisé les ressources et les trésoreries des associations, et le groupe du Mouvement démocrate et apparentés sera attentif à cette problématique.

Je souhaite remercier les agents des administrations centrales et déconcentrées, les personnels de l'État qui ont géré dans l'urgence et dans les conditions imposées par la crise sanitaire des aides inédites, et mené des missions qu'ils n'avaient jamais eu à connaître auparavant.

L'exécution de l'exercice 2020 témoignera sans nul doute de mouvements de crédits au sein des missions et des programmes budgétaires concernés. Nous ne pourrons pleinement analyser les incidences de ces mouvements que lors du printemps de l'évaluation de l'année prochaine.

Je tiens également à saluer les nouvelles formes de collaboration entre administrations et élus locaux et nationaux, qui se sont mises en place avec des comités locaux de pilotage – en particulier pour l'attribution des aides aux entreprises. Cet esprit de collaboration a permis d'évaluer les situations très rapidement et de faire remonter les difficultés du terrain avec une efficacité dont nous apprécierons encore les effets dans le cadre de l'examen du troisième PLFR pour 2020, que nous examinerons prochainement.

Souhaitons que ces bonnes pratiques et ces bonnes habitudes survivent à la crise, car c'est l'évaluation que nous en faisons qui fait la pertinence et la force de nos politiques publiques. Aussi, monsieur le président, permettez-moi de convoquer à nouveau la sagesse de Zarathoustra dans cet auguste hémicycle pour dire, avec lui, que « c'est l'homme qui mit des valeurs dans les choses, afin de se conserver [… ] C'est pourquoi il s'appelle "homme", c'est-à-dire, celui qui évalue ». Je me réjouis, avec les députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qu'en évaluant, nous ayons ainsi exercé nos facultés d'hommes et de femmes de bonne volonté, mais aussi pleinement rempli la mission que nous avait confié le constituant de 2008.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.