Intervention de Thomas Mesnier

Séance en hémicycle du lundi 15 juin 2020 à 16h00
Dette sociale et autonomie — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Mesnier, rapporteur de la commission spéciale :

La crise sanitaire et économique actuelle nous oblige à ce que Simone Veil avait appelé, lors de la présentation d'un grand texte sur la sécurité sociale en 1994 – lointain ancêtre de celui que nous examinons aujourd'hui – , un devoir de lucidité.

Aujourd'hui, c'est même un double devoir de lucidité que nous devons accomplir. Il porte tout d'abord sur l'état des finances de la sécurité sociale. Je n'ai pas besoin de le rappeler, la situation est incontestablement difficile : l'effondrement des recettes et la hausse des dépenses liées à la crise sanitaire entraînent des besoins de financement inédits depuis la création de la sécurité sociale.

Créée pour couvrir les besoins de trésorerie des branches, qui peuvent varier au cours de l'année en fonction de certaines échéances, l'ACOSS pourrait prochainement devoir porter près de 95 milliards d'euros d'endettement de court terme auprès des marchés financiers, des banques et de la Caisse des dépôts et consignations.

Pour mettre cette dette à l'abri, à plus long terme, un nouveau transfert à la CADES est apparu comme la solution la plus évidente. Celle-ci est en effet conçue pour reprendre et amortir la dette de la sécurité sociale, mission qu'elle a jusqu'à présent remplie avec succès. Aussi, c'est à elle que doivent être transférés 136 milliards d'euros de dette : 31 milliards de déficit déjà acquis au titre des exercices 2019 et antérieurs, 13 milliards de dette reprise aux établissements participant au service public hospitalier et 92 milliards de provision pour anticiper les déficits des exercices 2020 à 2023, désormais inévitables.

Il y va du sérieux du financement de nos politiques de protection sociale ; il y va aussi de l'intérêt des assurés, car les cotisations et les contributions acquittées auprès de la sécurité sociale doivent financer des prestations et des politiques ambitieuses, protectrices, et non les intérêts versés aux prêteurs. Le plan de financement jusqu'en 2033, inscrit dans le projet de loi ordinaire, s'appuie sur des ressources dynamiques, la contribution sociale généralisée – CSG – et la contribution pour le remboursement de la dette sociale – CRDS – , ainsi que sur les versements réguliers d'une institution aussi solide que le Fonds de réserve pour les retraites. C'est la preuve de l'esprit de sérieux qui anime le législateur.

Comme l'ont déjà fait de nombreux travaux gouvernementaux, missions parlementaires et consultations citoyennes, ce même devoir de lucidité nous oblige à constater que notre protection sociale, confrontée aux défis du grand âge et de la perte d'autonomie, doit opérer une transition inédite aussi bien par le nombre d'assurés à protéger que par l'ingénierie sociale devant conduire à inventer ou à consolider des solutions transversales. Il nous faudra décloisonner, simplifier les rapports entre domicile et établissements, entre logique d'accompagnement et logique sanitaire, entre conseils départementaux et sécurité sociale.

C'est dans cette perspective que le texte initial proposait de transférer dès 2024 une fraction de CSG, représentant à cette échéance 2,3 milliards d'euros, à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Pourquoi 2024 ? Parce qu'à cette date devaient expirer la dette sociale, donc la CADES. Cet objectif ne sera pas atteint, mais l'année 2024 n'en inaugurera pas moins un nouveau paradigme d'amortissement de la dette sociale, ce qui justifie une modification du niveau des ressources allouées à cette fin.

Le texte déposé par le Gouvernement prévoyait également, d'ici à l'automne, la remise d'un rapport sur les implications de la création d'un cinquième risque, c'est-à-dire d'une cinquième branche de la sécurité sociale, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Sans nous départir d'un esprit d'humilité face à l'ampleur de la tâche, sans perdre la conscience des échéances à venir, nous avons voulu, dès l'examen du texte en commission spéciale, aller au bout de nos responsabilités : nous nous sommes fermement prononcés en faveur de cette cinquième branche « autonomie ». La commission spéciale n'a pas remis en cause la nécessité d'une concertation, ni celle d'un rapport du Gouvernement à remettre au Parlement pour le 15 septembre. Elle a entendu donner une direction nette et précise aux travaux qui déboucheront sur des dispositions inscrites dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour ce faire, elle a pu s'appuyer sur près de vingt-cinq ans de débats suscités par cette question, maintes fois remise sur le métier sans jamais, jusqu'ici, aboutir.

Cette nouvelle branche nécessitera des mesures techniques afin de clarifier ses ressources, ses relations financières avec les autres branches ou encore son périmètre, qui pourrait très bien, dans un premier temps, correspondre au champ des dépenses aujourd'hui intégrées dans les cinq sections financières de la CNSA. Le futur rapport du Gouvernement permettra d'éclairer ces aspects et d'engager un débat approfondi dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À nos yeux, la création d'une cinquième branche est le seul choix de gouvernance à la hauteur du défi que constitue le soutien à l'autonomie ; un choix à la fois ambitieux au regard de l'organisation de la sécurité sociale et respectueux des nécessités de la prise en charge des personnes âgées dépendantes ou des personnes en situation de handicap. En commission spéciale, certains nous ont accusés de nous passer des films, de créer une coquille vide. Pourtant, l'instauration d'un champ de la sécurité sociale entièrement consacré aux personnes handicapées ou dépendantes nous oblige. Nous tâcherons par conséquent d'esquisser son architecture au cours des débats qui nous attendent.

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