Intervention de Jean-Pierre Door

Séance en hémicycle du lundi 15 juin 2020 à 16h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Door :

Nous y voilà : nous sommes dans la crise sociale post-covid-19. Monsieur le secrétaire d'État, vous annoncez pour 2020 un déficit abyssal de 52,2 milliards d'euros, alors que, après les promesses d'excédent, la sécurité sociale replonge dans le rouge, avec un déficit estimé pour 2020 à 5,1 milliards d'euros. Le fameux « monde d'après », si longtemps fantasmé, est désormais entre nos mains.

Néanmoins les fondations du « monde d'avant » restent, quoi que l'on dise, solides. Notre protection sociale n'est pas financée et on ne peut plus arrêter le yoyo des déficits puisque, après avoir prévu la fin de la dette sociale en 2024, voici que vous proposez de prolonger l'existence de la CADES jusqu'en 2033, soit neuf années supplémentaires, en lui transférant 136 milliards d'euros : 31 milliards pour couvrir les déficits passés, 92 milliards au titre des déficits des années 2020 à 2023 et 13 milliards pour financer une partie de la dette des hôpitaux publics.

La CADES a été créée en 1996 par Alain Juppé pour apurer les déficits cumulés du régime général, pour une période qui devait s'achever en 2009. Son existence a été prolongée de cinq ans par Mme Aubry, puis de sept années supplémentaires par Philippe Douste-Blazy, et, enfin, de quatre années par la loi organique de 2010 qui prévoyait sa disparition en 2025. Nous y sommes presque et cela nous laisse la triste sensation d'une sécurité sociale éternellement déficitaire.

Les deux projets de loi, organique et ordinaire, que vous nous proposez sont placés sous le signe de la confusion et de la précipitation. Alors qu'en 2005 le Conseil constitutionnel avait donné valeur organique à la règle selon laquelle tout nouveau transfert de dette devait s'accompagner d'une recette correspondante et que, face aux incertitudes de la conjoncture, une loi organique adoptée en 2010 prévoyait une clause de garantie des recettes, notamment en cas de création de niches fiscales ou sociales, vous confondez finances sociales et finances de l'État, au mépris de la loi Veil de 1994. En décidant en 2019 de ne plus compenser les exonérations de cotisations sociales, en imposant à la sécurité sociale de financer les mesures en faveur des gilets jaunes et en organisant aujourd'hui le transfert de 13 milliards d'euros pour financer une partie de la dette des hôpitaux publics, vous puisez à pleines mains dans les ressources de la protection sociale, aggravant encore sa dette.

Pourtant, le rapport signale que la dette hospitalière, gérée par les établissements qui en sont en principe responsables, ne saurait être confondue avec la dette des régimes obligatoires. L'étude d'impact estime contradictoire le transfert de dettes vers les organismes de sécurité sociale. Cette manipulation n'est, en somme, que du bidouillage puisque vous allez procéder à des transferts successifs de la CADES vers l'assurance maladie, puis vers les hôpitaux.

Par quelles recettes ce projet de loi prévoit-il de financer cet endettement d'ampleur ? En fait, on continue de soigner à crédit. Pire encore, vous réduisez les recettes en ponctionnant 0,15 point de CSG, soit 2,3 milliards par an, pour financer la création d'une cinquième branche destinée à couvrir le risque de dépendance, cinquième branche qui, au-delà de l'affichage, reste à définir et à financer. On est loin du compte, selon Dominique Libault, qui estime à 6 à 8 milliards par an les moyens supplémentaires nécessaires au financement de cette nouvelle branche. Il y a d'autres voies, comme le confirme le Conseil d'État, qui estime qu'une loi organique n'est pas nécessaire pour cela et qu'il faut en débattre dans le cadre du prochain projet PLFSS.

La précipitation et les effets d'annonce sont bien orchestrés par votre majorité, alors qu'il y a unanimité ici pour reconnaître l'urgence de débattre d'un grand projet de loi dédié au grand âge et à l'autonomie, en concertation avec la CNSA, les départements, la sécurité sociale, l'État et les ménages.

Comment cette nouvelle branche fonctionnera-t-elle ? Y aura-t-il de nouvelles aides ou se contentera-t-on de revaloriser les dispositifs actuels ? Qui fait quoi ? Qui paye ? Pour qui ? Pourquoi ? Que faire des 2,3 milliards qui doivent financer cette cinquième branche à partir de 2024 ? Il est vrai que la CADES excitait déjà bien des appétits dans la perspective de la réforme des retraites, mais voilà que vous en faites une caisse fourre-tout. Vous estimez que la création de cette branche par un simple amendement est historique : ce qui est historique, c'est de chambouler ainsi les sous-objectifs du PLFSS, tout cela sans prévoir de financement, laissant ce soin à vos successeurs.

Le groupe Les Républicains propose que les 13 milliards de la dette de l'hôpital, qui relève de l'État, soient compensés par lui et qu'on augmente dès 2021 le financement de la dépendance. En conséquence, le groupe dans son ensemble s'abstiendra sur ce texte.

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