Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du lundi 15 juin 2020 à 16h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Avec l'examen de ces textes, nous engageons un débat parlementaire qui n'en sera pas véritablement un puisque votre décision est prise et que vous estimez, comme vous l'avez affirmé devant la commission spéciale, qu'il s'agit de « la meilleure qui soit », en dépit des interrogations des économistes, des désaccords des organisations syndicales ou de la réprobation du Haut Conseil pour le financement de la protection sociale.

Le résultat est donc connu d'avance : vous allez transférer 136 milliards d'euros à la CADES, mettant ainsi un terme prématuré au débat sur la façon de traiter la dette créée par la crise actuelle, alors que sa nature particulière justifiait un traitement spécifique. Le Gouvernement a décidé de faire comme « avant » en niant la spécificité de cette dette : vous avez donc au moins l'avantage de la constance puisque, depuis le début du quinquennat, vous avez fait le choix de distinguer le moins possible le périmètre de la protection sociale de celui du budget de l'État. Il y a peu encore, vous aviez d'ailleurs décidé de ne plus compenser les exonérations de cotisations sociales.

La dette dont nous parlons n'est toutefois pas liée à un déséquilibre structurel du régime de sécurité sociale, mais à des décisions de l'État pour faire face à une crise conjoncturelle. Ce sont bien des décisions de l'État, que nous ne contestons pas sur le fond, qui ont eu des conséquences sur les dépenses comme sur les recettes de la sécurité sociale et de l'UNEDIC. Comme le suggérait le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, le Gouvernement aurait pu – à notre sens, il aurait dû – décider de prendre à son compte le déficit exceptionnel créé par la crise.

Cette solution présentait bien des avantages. Le premier tient au fait que l'État emprunte à des conditions plus favorables que les agences sociales, avec un écart régulier de 0,1 à 0,3 point. Il y a quelques jours encore, le Gouvernement semble avoir refusé un prêt de trésorerie à l'AGIRC, l'Association générale des institutions de retraite des cadres, prêt que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale aurait refinancé sur les marchés de court terme. L'AGIRC a dû avoir recours aux banques et payer la différence de swap, ce qui aurait pu être évité si l'État avait accordé ce prêt.

Un deuxième avantage tient à la nature même des dettes concernées et aux conséquences qui en découlent. Depuis 1996, la dette de la sécurité sociale a fait l'objet d'un amortissement, et donc d'un remboursement intégral, intérêts et capital. Elle doit tendre vers zéro. La dette de l'État est en revanche gérée à très long terme : l'État ne supporte que les intérêts et réemprunte indéfiniment le principal, ce qui revient à faire rouler la dette. Le débat porte en général sur le niveau de cette dette de l'État, mais pas sur son extinction. Votre choix nous fait craindre que vous n'hypothéquiez les dépenses sociales et réduisiez les marges de manoeuvre au moment même où s'ouvre le Ségur de la santé et où le Gouvernement annonce qu'il veut investir dans l'hôpital et dans le grand âge.

Alors que le coût annuel de la dette liée au covid-19 supporté par l'État serait de 1,5 milliard d'euros par an, ce qui correspond aux intérêts, le transfert de cette dette à la CADES, qui devait s'éteindre en 2024, prive la politique sociale de la nation d'une dizaine de milliards d'euros par an de CSG, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de cotisations chômage jusqu'en 2033. La meilleure des preuves que votre projet constitue au fond une impasse se lit dans le fait que vous n'accordez qu'une fraction de CSG à la CNSA. Ces 2,3 milliards d'euros seront bien insuffisants par rapport aux montants évoqués dans le rapport Libault. Ce transfert est de plus bien tardif.

Vous choisissez de rembourser la dette plutôt que de satisfaire les besoins sociaux, et vous décidez de vous priver de tout financement alternatif, qu'il s'agisse d'un financement de nature monétaire ou d'une fiscalité spécifique qui mettrait à contribution les plus riches des Français. Vous optez pour la proportionnalité de l'impôt alors que nous préférons la progressivité. Comme nombre de caisses que nous avons consultées ainsi que les partenaires sociaux et les Françaises et les Français, nous pensons que, en dépit de ce que vous affirmez, votre choix n'est pas le meilleur.

S'agissant de la création de la cinquième, branche, nous nous réjouissons que la perte d'autonomie soit enfin à l'agenda du Gouvernement même si, à ce stade, nous n'avons pas tout à fait affaire à la grande loi promise pour le mois de décembre 2018. Je sais que, pour La République en marche, tout devient la nuit du 4 août, tout est considéré comme une grande réforme. Certes, la majorité, jusqu'au chef de l'État en personne, ne manque jamais une occasion de se célébrer elle-même, mais, à ce stade, l'annonce n'est qu'une annonce. Il s'agit d'une tautologie, mais rien n'est dit sur ce que pourrait être une cinquième branche qui, à tout le moins, ne pourra pas être une branche comme les autres parce que le risque autonomie est de nature particulière. Il fait intervenir la CNSA et les départements, à la confluence du sanitaire et du social.

Vous ne dites rien de la façon dont vous concevez cette branche, ni de sa gouvernance, ni de la politique publique qu'elle implique, politique publique nécessairement globale qui ne peut pas être seulement faite de prestations monétaires, mais qui doit aussi comporter des services. Vous ne dites rien du reste à charge ; vous ne dites rien des moyens que vous entendez consacrer, si faibles ou si tardivement. Bref, il serait excessif de considérer que votre projet de loi est au rendez-vous de l'histoire. En définitive, vos grands mots ne seront pas les grands remèdes promis.

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