Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mercredi 17 juin 2020 à 15h00
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Face à cette crise sans précédent, l'état d'urgence sanitaire aurait pu être beaucoup plus utile. C'est ainsi que je souhaite débuter ma prise de parole : en regardant ce qui a été accompli dans le cadre des lois ayant institué puis prorogé l'état d'urgence. Pour que celui-ci soit utile, il aurait fallu qu'il soit utilisé à bon escient et de manière efficace pour lutter contre la crise sanitaire, ainsi que contre ses conséquences sociales et économiques.

Il y avait pourtant de très nombreuses décisions urgentes et utiles à prendre, comme réorienter l'industrie en réquisitionnant et nationalisant les entreprises et les sites de production dont nous avions besoin. Or, contrairement au Président de la République, qui s'est adressé dimanche un autosatisfecit, je n'ai constaté aucune réorientation de l'industrie. Le laboratoire Famar Lyon, l'entreprise Luxfer ou encore le site de Bobigny de Péters Surgical, dédié à la confection de sondes de Motin, fabriquaient en effet des produits à usage médical absolument nécessaires, mais ils ont été fermés, en 2019 pour les deux premiers et en juin pour le troisième. Vous n'avez rien fait pour l'empêcher. Et quand vous parlez de réorientation industrielle, j'espère que vous ne vous référez pas à la véritable tragicomédie qu'a constitué l'alliance entre Air Liquide et PSA en vue de produire 10 000 respirateurs, lesquels ont servi à tout sauf à soigner des patients atteints du covid-19.

Vous auriez également pu utiliser l'état d'urgence sanitaire pour pallier la pénurie de masques FFP2, lesquels continuent de manquer aux soignants – mais vous ne l'avez pas fait.

Vous auriez pu l'utiliser pour produire et fournir gratuitement des masques au grand public, au lieu de laisser le marché dicter ses conditions et ainsi voir les prix des masques exploser au moment même où ils devenaient obligatoires – mais vous ne l'avez pas fait.

Vous auriez pu bloquer les prix des produits alimentaires, interdire les licenciements dans les entreprises bénéficiaires des aides de l'État, mieux planifier le déconfinement et ses conséquences, ou encore réaliser de véritables relocalisations, se traduisant par autre chose que par de simples baux immobiliers – mais vous ne l'avez pas fait non plus.

Je me demande, dès lors, à quoi sert de prononcer l'état d'urgence si vous en faites un si mauvais usage et si vous n'instaurez pas les mesures d'urgence nécessaires à l'intérêt général, non seulement sur le plan sanitaire, mais aussi en matière sociale et économique.

Et pourquoi faudrait-il maintenant en prolonger encore la durée ? Car c'est bien de cela dont il s'agit. Ce que vous appelez « organisation de la sortie de l'état d'urgence » n'est rien d'autre que la prolongation, qui ne dit pas son nom, d'un état d'exception. Après l'avoir prorogé de deux mois fin mars, vous voudriez cette fois ajouter trois mois et demi de plus – et non quatre mois, monsieur Balanant – , mais sans l'admettre et au prétexte que seules certaines dispositions seraient maintenues.

Or cette zone grise absurde entre état d'urgence et droit commun est presque pire qu'une simple prolongation ; c'est en effet une atteinte à l'État de droit. Ce que recouvre votre choix ne correspond à rien de logique ou de stratégique en matière de gestion de crise ou au regard de la situation sanitaire. Je l'ai dit, vous jetez aux oubliettes tout ce qui aurait pu permettre d'instaurer des mesures économiques et sociales utiles, et vous voudriez conserver tout ce qui permet de porter atteinte aux libertés fondamentales. En effet, vous ne gardez que les mesures de restriction des libertés prévues à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, alors qu'il existe dans le droit commun, à l'article L. 3131-1 dudit code, les outils qui vous permettraient, monsieur le ministre, de faire face à une crise qui s'aggraverait.

Nous ne pouvons pas accepter qu'une fois de plus la gravité d'une situation serve de prétexte pour faire entrer, petit à petit, un état d'exception dans le droit commun, et cela d'autant moins que ce n'est pas la première fois qu'on nous fait le coup. Au fond, la logique était la même lors de l'état d'urgence sécuritaire, dont vous avez intégré des dispositions dans le droit commun, au travers de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Vous avez utilisé la lutte contre les actes terroristes, qui sont si graves que n'importe quelle mesure d'urgence en la matière est au-dessus de toute critique, pour porter atteinte aux libertés publiques, notamment au droit de manifester. C'était pourtant sans rapport, vous l'admettrez, avec le terrorisme, donc avec l'objet du texte.

Avec ce projet de loi, c'est le même schéma qui se reproduit. Dans votre dernière intervention, vous avez dit, monsieur Véran, que cela vous « piquait » qu'on puisse vous accuser de faire de telles choses. Pourtant, vous passez d'une prorogation de l'état d'urgence à la création d'une zone grise entre état d'urgence et situation normale. La prochaine étape risque d'être la pérennisation des mesures les plus dangereuses pour nos libertés. Le collègue du groupe La République en marche qui est intervenu tout à l'heure l'a d'ailleurs confirmé, lorsqu'il a convenu que si l'épidémie devait revenir il faudrait faire quelque chose : vous continuerez par conséquent à proroger cet état de fait.

Nous ne pouvons pas accepter qu'une telle méthode devienne une habitude. Nous ne pouvons pas accepter que vous utilisiez la crise sanitaire et les peurs légitimes qu'elle a engendrées pour faire ce qui vous chante de nos lois et de nos droits. Vous avez transformé cette épidémie en grave crise sanitaire et économique du fait de votre impréparation et des politiques d'austérité que vous avez menées. Je refuse que vous osiez de surcroît vous en servir pour confiner nos libertés fondamentales.

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