Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du lundi 22 juin 2020 à 16h00
Mesures de sureté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Je ne vous cache pas que nous avons éprouvé de la surprise en prenant connaissance de la présente proposition de loi, que Mme la présidente de la commission des lois a souhaité faire inscrire à l'ordre du jour. En effet, nous pensions, après l'adoption de la loi SILT, de la loi de programmation et de réforme pour la justice et de la loi anti-casseurs, que nous avions fait le tour des textes sécuritaires et répressifs du quinquennat.

Manifestement non ! Voici encore un texte – suivi d'un autre qui doit être examiné début juillet – qui instaure de nouvelles dispositions pénales, présentées comme de simples mesures de sûreté, visant des individus condamnés pour infractions terroristes et ayant purgé leur peine, alors même qu'il existe d'ores et déjà plusieurs outils juridiques pour prévenir ce type d'infractions graves et les récidives.

Le Conseil d'État, dans son avis, n'a pas manqué de le rappeler, indiquant que l'arsenal de répression pénale du terrorisme, depuis l'adoption de la loi du 9 septembre 1986 est, « très complet et adapté à la criminalité terroriste », et que l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste est devenue « l'instrument essentiel des juridictions pour prévenir la commission d'actes terroristes ». Le Conseil d'État suggère même, en filigrane, que l'intérêt de la création de nouvelles mesures préventives de sûreté en la matière est nécessairement limité.

C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires est très réservé à l'égard du présent texte de loi. Bien entendu, il n'est nullement question, pour nous, de minimiser la menace terroriste – islamiste plus spécifiquement, car il faut appeler un chat un chat. C'est bien contre cette idéologie barbare que nous devons agir, en évitant d'étendre l'application de mesures répressives créées pour des cas précis à des combats politiques ou à des situations distincts.

Notre groupe souscrit naturellement à l'action visant à prévenir la récidive en matière d'actes terroristes islamistes, mais l'arsenal juridique en vigueur ne suffit-il pas ? Le renseignement est essentiel en la matière, mais l'utilise-t-on suffisamment ? La question mérite d'être posée. Empêcher la récidive des détenus radicalisés sortant de détention est un vrai défi pour les autorités. Il s'agit d'un enjeu de sécurité, emportant leur responsabilité politique et démocratique.

Nous comprenons tout à fait l'inquiétude de la population au sujet de l'éventuelle dangerosité d'individus islamistes radicalisés, et du risque d'un nouveau passage à l'acte. Toutefois, que savons-nous, à ce jour, de ce risque de récidive ? Est-il très élevé, moyennement élevé ou quasi nul ? Pour le déterminer, et agir de façon strictement proportionnée, ne serait-il pas souhaitable de mener, en France, une évaluation des risques de récidive des personnes condamnées pour actes terroristes ? Notre groupe, avec d'autres, le demande, dans le cadre de l'examen de la présente proposition de loi.

Celle qui a été menée en Belgique, publiée cette année, est intéressante à plus d'un titre. Elle révèle que le taux de récidive, en la matière, est très faible comparé à celui des détenus dits classiques. Même si ce résultat est contre-intuitif, tant pour l'opinion publique que pour le monde judiciaire et les services de sécurité, il doit nous inviter à la prudence. L'étude menée en Belgique révèle aussi que les individus qui récidivent, en matière de terrorisme, le font généralement très rapidement, moins d'un an, voire moins de neuf mois après leur sortie de prison.

J'en viens plus précisément au texte. À l'orée de son examen en commission, nous nous interrogions sur la pertinence des délais de renouvellement applicables aux mesures de sûreté, qui sont très longs. Cette disposition a été corrigée en commission, avec une réduction de moitié par rapport au texte initial.

En commission, nous avons retiré le placement sous surveillance électronique mobile des mesures de sûreté pouvant être ordonnées à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine. C'était important. En effet, le placement sous surveillance électronique est prononcé par la juridiction de jugement dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire. Il s'agit donc d'une peine complémentaire. Il peut également être prononcé dans le cadre d'une surveillance judiciaire.

Rétablir le PSEM porterait atteinte au principe de droit non bis in idem, selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. Lors de l'examen du texte en commission, nos collègues du groupe MODEM, emmenés par Laurence Vichnievsky, ont rappelé que ce dispositif a un caractère restrictif de liberté particulièrement prononcé, ce qui l'assimile à une mesure davantage punitive que préventive, de sorte qu'un risque d'inconstitutionnalité du texte était à craindre.

Le droit est clair : si la surveillance judiciaire est bien une mesure de sûreté, à visée préventive et non punitive, elle s'applique pour la seule durée de la peine. Or, la disposition prévue avait un champ d'application temporel outrepassant la durée de la condamnation initiale, au point qu'on pouvait se demander si l'on ne franchissait pas là les bornes de l'État de droit.

Toutefois, ces aménagements obtenus en commission n'estompent pas les craintes des membres de notre groupe, et notamment les miennes, s'agissant du risque que ces mesures destinées aux terroristes islamistes soient appliquées à d'autres publics, dont les intentions, qu'on le veuille ou non, ne sont pas les mêmes.

Je le répète devant vous avec force : dès lors qu'il est exempt de toute intention délibérée de tuer des innocents, de façon barbare, dans le cadre d'une idéologie identifiée, le combat d'un militant altermondialiste, corse ou basque n'est pas le même que celui d'un individu islamiste radicalisé dont l'objectif est de tuer ceux qu'il appelle les mécréants. La peine infligée pour les faits commis, qui doit bien entendu être proportionnée, ne peut être la même que celle infligée à un islamiste radicalisé. Pourtant, on active le même arsenal répressif pour ces deux situations radicalement différentes ! On ne devrait pas pouvoir mettre sur le même plan une dégradation matérielle et l'atteinte à la vie d'un homme ou d'une femme, et pourtant on applique les mêmes dispositions.

On reproduit ici les mêmes erreurs que le fichier des auteurs d'infractions terroristes, qui recense aujourd'hui de nombreux militants très divers. Tout le monde est mis dans le même sac : au lieu d'apaiser les tensions, on les attise ! Je rappelle que les chemins longs et sinueux ayant amené la paix en Corse et au pays basque doivent être considérés avec les yeux de l'Histoire.

La grande majorité des membres du groupe Libertés et territoires ne voteront pas ce texte en l'état. Nous espérons qu'il connaîtra de profondes mutations au cours des débats.

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