Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 13 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Si vous rapportez la dette de la France à la durée moyenne d'un titre de dette conclu par l'État – 7 ans et 31 jours – l'endettement total de la France est, par rapport au PIB des années considérées, de 12 % : rien qui justifie les sacrifices et les destructions auxquels nous sommes appelés ! Bref, le cadre intellectuel et conceptuel de l'économie tel que le pense la Commission est une absurdité, qui ne permettra pas de faire face aux événements qui s'annoncent.

Deuxième cadre de votre budget, la théorie du ruissellement : on empile de l'argent en haut, et les grosses miettes finissent par dégringoler sur ceux qui sont en dessous. C'est une idée que vous avez récusée, monsieur le ministre, je m'en souviens très bien. Vous avez pourtant expliqué que les 10 milliards que vous allez donner entraîneront des investissements, qui produiront eux-mêmes des emplois, lesquels rapporteront des taxes et des impôts – créant ainsi le monde meilleur auquel vous aspirez, mais que vous ne verrez pas advenir avec de telles méthodes.

Cette théorie butte sur un point : il n'est prouvé nulle part que l'argent supplémentaire que l'on donne au capital va au travail et à l'investissement. Il n'existe aucune preuve de cette affirmation. Cela a l'air de vous amuser, monsieur le ministre. Je suis sûr que vous avez une bonne raison, mais pour ma part, je prends cela très au sérieux. Après tout, vous pourriez avoir raison… Mais le fait est que personne ne critique ce point de la doctrine économique.

Vous m'avez répondu précédemment que le bon sens veut que l'argent aille à la production. Mais nulle part on ne voit trace de ce bon sens ! Alors que les mesures contenues dans le projet de loi de finances pour 2018 sont quasiment acquises, le journal L'Opinion a rapporté la semaine dernière que les investisseurs avaient décidé de ralentir leurs investissements en France pour l'année 2017 et qu'ils ne prévoyaient rien pour l'année 2018. Ils estiment en effet que les outils de production sont déjà utilisés au maximum de leur capacité.

Cela signifie qu'ils n'attendent absolument rien de la décision qui vient d'être prise de leur rendre 10 milliards d'euros. Cette théorie part de l'idée que le marché, au fond, place naturellement les ressources au bon endroit, au bon moment. Ça, c'est l'ancien capitalisme, le capitalisme rhénan, celui que l'on a connu pendant les dernières décennies du siècle passé. Mais il n'existe plus. Le capitalisme de notre époque, c'est d'abord une accumulation disproportionnée dans la bulle financière, sans aucun rapport avec la production réelle.

Ce phénomène s'est développé d'une manière fulgurante à partir des années 1970, et précisément de la décision de M. Richard Nixon, le 15 août 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or. Les États-Unis d'Amérique ont alors commencé à imprimer des billets sans aucune limite, et leur monnaie à régler le commerce mondial. Entre cette époque et 2016, on est passé de 20 milliards à 5 000 milliards de dollars d'échanges financiers par jour, soit 115 fois, chaque jour, le montant annuel du commerce mondial. Si cela ne démontre pas l'existence d'une sphère financière absolument coupée de la réalité de l'économie productive, qu'est-ce qui le démontrera jamais !

La bulle boursière qui en a résulté, c'est-à-dire une accumulation de richesses sans cause, est elle aussi considérable. Nous sommes passés de 1 400 milliards en 1975, soit quelques années après la décision de Nixon, à 65 000 milliards en 2017. Entendez bien ce chiffre : il est supérieur au pic qu'a atteint la capitalisation boursière à la veille de la crise de 2008 ! Cette crise, causée par l'éclatement de la bulle financière, a été la plus grave depuis celle de 1929 selon les déclarations de nos responsables politiques, le président Sarkozy et le président des États-Unis de l'époque, mais aujourd'hui, nous sommes à un niveau supérieur ! Il suffit d'ouvrir un journal économique ou financier pour voir que nous sommes dans un état sur-critique. Et c'est le moment que nous avons choisi pour aller, avec nos petits seaux, grossir encore l'océan de cet argent fictif !

Alors que la valeur boursière a été multipliée par 45 en trente ans, la production réelle, elle, n'a été multipliée que par 3,5. Soyons clairs : un océan de papier flotte au-dessus de nos têtes. Une bulle gigantesque englobe l'économie réelle. C'est elle, et non la production réelle, qui donne le rythme. Le danger est donc extrême, et il ne faut pas l'accroître.

Or, je vous l'ai dit il y a un instant, les investisseurs ne se préparent pas à investir l'argent qu'on va leur donner. Du reste, au cours des dernières années, ils n'ont pas davantage investi, au contraire. Et cela se comprend ! Ce n'est pas un complot, c'est juste qu'il est plus facile d'accumuler dans la bulle financière que dans l'économie réelle. Autrefois – en l'an 2000, ce n'est pas si vieux que cela ! – les entreprises du CAC 40 distribuaient 33 % de leurs bénéfices aux actionnaires. Aujourd'hui, elles en distribuent 57 %. Cela signifie qu'elles comptent sur des gens pour placer leur argent de manière opportune.

On sait, depuis les Paradise Papers et, avant cela, les Panama Papers, ce que ces personnes font de leur argent. Si ceux qui devraient investir n'investissent pas, si les riches préfèrent les dividendes, si la bulle boursière nous menace, alors il faut que nous regardions s'il existe des théories ou des pratiques économiques qui aboutissent à un résultat inverse. Voilà ce qui nous intéresse.

Je vais chercher la preuve de ma démonstration à la Banque centrale européenne – BCE – , même si cela peut paraître curieux de prime abord. La BCE a commencé par annoncer qu'elle donnerait 400 milliards aux banques, à la condition que celles-ci donnent, en échange, des titres de prêts immobiliers. Résultat ? Rien. Ce sont 60 milliards à peine qui ont été consommés. Les banques ont préféré ne rien prendre que de lâcher ce qu'elles considéraient comme un placement plus sûr que de l'argent à placer dans l'économie réelle – car c'est la deuxième condition que posait la Banque centrale.

M. Jean-Claude Juncker a proposé 300 milliards de plan de relance. Que s'est-il passé ? Rien. Cette somme n'a pas été utilisée non plus. Il a fallu que le banquier central adhère, avec un peu d'humour, à la théorie la plus folle de M. Keynes, qui disait que tout était bon pour relancer la machine, y compris jeter des sacs de billets depuis des hélicoptères, parce que cela obligeait les gens à dépenser immédiatement l'argent, pour qu'on ne le leur reprenne pas. Ce que je suis en train de vous raconter n'est pas une invention : c'est ce qu'il a dit lors d'une conférence de presse, avec humour, pour répondre à un journaliste qui lui demandait quelle était la limite de ce qu'il était prêt à faire pour relancer l'économie. Il a répondu qu'il n'y en avait pas, et a fait cette hypothèse.

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