Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du lundi 13 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

En second lieu, le chiffre d'affaires retenu n'est pas le chiffre d'affaires consolidé pour les groupes consolidés, alors que c'est la société mère qui s'acquittera de ces nouvelles taxes sur l'assiette de son IS consolidé. À l'inverse, pour les groupes étrangers, ce sont les filiales implantées en France qui les régleront. Ce qui ramène à un problème soulevé dans le rapport de l'IGF, à savoir la rupture d'égalité entre les entreprises françaises, ou implantées en France, et celles qui dépendent d'entreprises implantées à l'étranger.

La rupture d'égalité existe également lorsqu'une entreprise, qui n'a pas distribué de dividendes entre 2013 et 2016 et n'a donc pas payé de taxe de 3 % sur les dividendes, est bénéficiaire en 2017 et devra donc s'acquitter des nouvelles taxes, alors qu'une entreprise, qui a beaucoup distribué de dividendes entre 2013 et 2016 mais est en déficit en 2017, se verra rembourser le montant des taxes réglées sur les dividendes versés, tout en étant exonérée des nouvelles taxes.

La rupture d'égalité est manifeste pour les mutuelles d'assurance qui, statutairement, ne peuvent distribuer de dividendes, et étaient donc par nature exonérées de la taxe de 3 %, et qui devront payer ce nouvel impôt. On pourrait citer le cas des sociétés d'investissement immobilier cotées qui étaient exonérées de la taxe de 3 % et qui seront redevables de ces nouvelles taxes. On pourrait également citer le cas des trois réseaux bancaires mutualistes qui, souvent, ne distribuent pas ou fort peu de dividendes, et qui seront frappés par ces nouvelles taxes pour un solde de plus d'1 milliard d'euros.

Le deuxième principe est celui de la non-rétroactivité. Le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas en matière fiscale, exception faite de ce qu'on appelle « la petite rétroactivité ». Or, le Conseil constitutionnel a formulé deux réserves cumulatives en la matière. Si ce texte respecte la première, il ne respecte pas la seconde, à savoir l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général. Sur ce point, le Conseil constitutionnel n'admet pas qu'un motif purement financier puisse justifier l'atteinte à des situations légalement acquises. Or, c'est ce que vous faites. Le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer sur ce point.

Le texte paraît également contraire à ce troisième principe qu'est le droit de propriété. On peut en effet se demander si l'accumulation de ces impôts n'aboutit pas au dépassement de la limite acceptable pour les prélèvements, fixée par le Conseil constitutionnel entre 70 % et 75 %. Je prends, parmi les plus de 300 entreprises concernées, l'exemple d'une société immobilière soumise à l'IS : pour 100 euros de bénéfice, en 2017, au titre de l'IS, des deux nouvelles taxes en question et de la contribution additionnelle à l'IS, elle paiera 44,4 euros. Ne restent donc que 55,6 euros. Or, si l'on considère que l'actionnaire d'une société immobilière est encore imposé à « l'ISF nouvelle formule » et que le plafonnement cumulé de l'ISF, de la CSG et de l'IR s'établit à 75 %, il ne reste que 25 % de 55,6 euros, soit à peu près 14 euros. Le dispositif prévu percute donc le plafond constitutionnel si le Conseil constitutionnel élargit sa jurisprudence à l'IS et aux deux nouvelles taxes, sans même parler de la contribution additionnelle, qui n'est toujours pas supprimée en 2017.

Ce texte est enfin contraire au droit européen, un point qu'a soulevé l'IGF dans son rapport. Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, on peut s'interroger sur la compatibilité de ces deux taxes avec les deux principes de liberté de circulation des capitaux et de non-discrimination entre les entreprises au sein de l'Union européenne. En effet, les groupes français fiscalement intégrés peuvent compenser les déficits de leurs filiales avec les bénéfices de leurs autres filiales situées en France, puisque votre nouvel impôt est calculé sur l'IS consolidé, alors que ce n'est le cas pour les groupes dont la société mère est implantée dans un autre pays européen et qui ne peuvent pas imputer sur les bénéfices de leurs filiales françaises les déficits de leurs filiales situées dans un pays tiers.

Ce projet nuit également à la politique d'attractivité de la France, puisque nous faisons exactement l'inverse de ce que font les autres pays, en commençant par augmenter massivement le taux d'IS, alors même que le Gouvernement affirme, comme le précédent et, d'ailleurs, comme la quasi-totalité des membres de l'opposition de la droite et du centre, qu'il faut baisser ce taux, qui est le plus élevé d'Europe.

Une autre solution était possible. Le membre du groupe Les Constructifs que je suis vous le dit une nouvelle fois : devant cette difficulté dont vous n'êtes pas responsables – vous en avez hérité – , vous n'avez jamais réuni les différents courants politiques, pour leur présenter les trois ou quatre solutions envisageables en vue de déterminer la meilleure ou la moins mauvaise. C'est ce que j'aurais fait à votre place. Nous n'avons jamais été consultés sur le sujet. On s'étonne après du résultat !

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