Intervention de Dimitri Houbron

Séance en hémicycle du jeudi 16 juillet 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron :

Léon Tolstoï, dans Anna Karénine, nous livre cette très belle réflexion : « Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l'est à sa façon. » Si le droit ne peut pas répondre aux spécificités des déchirements propres à chaque foyer, la justice française sera capable, grâce à ce texte, de s'adapter un peu mieux à la particularité du malheur qui frappe ces familles.

Je tiens à remercier et à féliciter sincèrement l'ensemble des parlementaires, députés ou sénateurs, de toutes tendances politiques, qui ont mené ce combat avec nous, dès le Grenelle des violences conjugales lancé par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe, que je remercie également. Je salue aussi Marlène Schiappa et Nicole Belloubet pour leur action commune et sans précédent.

Je relèverai quatre ambitions majeures qui sous-tendent le texte.

D'abord, concernant les enfants, la présente proposition de loi permet une avancée fondamentale : la consécration du lien de corrélation entre les violences conjugales et la déflagration que ces violences peuvent entraîner pour les enfants du couple. Luc Frémiot, l'ancien procureur de Douai – dans ma circonscription – , se bat depuis de nombreuses années contre les violences faites aux femmes. Il répète inlassablement qu'il faut arrêter d'affirmer qu'un mari violent peut être un bon père : un enfant qui grandit dans un foyer en proie à des violences est à la fois témoin, otage et victime. Enfin, sa parole est entendue. C'est un vrai soulagement. Enfin, en cas d'instauration d'un contrôle judiciaire pour des faits de violences conjugales, le juge judiciaire devra systématiquement se prononcer sur la suspension du droit de visite et d'hébergement de l'enfant mineur. Enfin, il sera possible de retirer l'autorité parentale d'une personne condamnée pour un crime ou un délit commis sur l'autre parent.

Une autre ambition concerne la notion d'emprise. L'intégration de cette notion dans la loi est audacieuse : elle fera appel, plus que jamais, à la finesse d'analyse psychologique des magistrats et des auxiliaires de justice. Un travail essentiel devra être mené, tant dans la formation des magistrats que dans le quotidien des tribunaux, pour que la compréhension de ce phénomène soit approfondie et partagée entre professionnels.

S'agissant ensuite de l'aide juridictionnelle, je suis particulièrement satisfait de l'adoption de l'article qui prévoit l'admission à l'aide juridictionnelle immédiate à titre provisoire pour les procédures présentant un caractère d'urgence. Cette proposition, que j'avais défendue dans le rapport pour avis sur le budget de la justice, dont j'étais chargé en 2018, a été retenue par la commission mixte paritaire – merci à ses membres. Elle permettra aux personnes les plus vulnérables d'accéder plus facilement à un tribunal, dans le respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Surtout, cette aide juridictionnelle permettra à une victime, parfois sous emprise, d'être accompagnée sans qu'il lui soit nécessaire de fournir des documents dont elle ne dispose pas toujours.

Enfin, la proposition de loi apporte des réponses dans la lutte contre la pédopornographie et l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques. S'il est important de sanctionner les violences et d'en gérer les conséquences, il nous faut désormais améliorer la prévention en informant et en éduquant notre jeunesse, pour éviter que ces violences se renouvellent sur le long terme. Il est capital de protéger les mineurs de l'exposition à des images et vidéos pornographiques : c'est un sujet de société majeur. Le constat est alarmant, d'autant que la pratique est devenue courante : selon un sondage IFOP, 64 % des garçons et 39 % des filles âgés de 15 à 17 ans ont déjà visionné une vidéo pornographique. Les conséquences de ces expositions sont importantes, à court terme comme à long terme.

Mon travail sur cette question se prolongera jusqu'à Strasbourg, puisque j'ai l'honneur de siéger à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et d'avoir été nommé rapporteur d'une mission sur les moyens de lutte contre l'exposition des mineurs à la pornographie dans la grande Europe. Je serai très heureux et fier de promouvoir cette avancée législative française auprès d'autres pays européens.

La lutte contre les violences conjugales est une responsabilité que nous portons à la fois individuellement et collectivement. Sur cette question, le terrible film Jusqu'à la garde de Xavier Legrand montre comment la vigilance d'un simple voisin peut sauver des vies. Les députés du groupe Agir ensemble se félicitent que ce texte offre une plus grande protection aux victimes de violences conjugales et reconnaisse enfin l'impact de la déflagration causée par ces violences sur les enfants du couple, même lorsque leur intégrité corporelle n'est pas menacée.

Un grand pas est franchi aujourd'hui, mais la lutte doit continuer, comme l'a écrit Antonio Gramsci dans ses Cahiers de prison, en étant « pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste par la volonté ».

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