Intervention de Loïc Kervran

Séance en hémicycle du mardi 21 juillet 2020 à 15h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Kervran :

La commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale s'est saisie pour avis de l'article 2 du présent projet de loi. Mon intervention au nom du groupe La République en marche se limitera donc à cet article, qui repousse de sept mois la possibilité de recourir, à titre expérimental, à une technique de renseignement communément appelée « algorithme ».

Quelques mots, tout d'abord, de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui a institué la technique de l'algorithme. C'est une grande loi. Ce n'est pas tous les jours, en effet, qu'un nouvel objet fait irruption dans le champ du droit. Or cette loi a fait entrer dans le droit des pratiques qui avaient cours à sa marge, dans « l'a-légalité », voire en contradiction avec lui, dans l'illégalité, ce qui a marqué un progrès pour les libertés publiques, mais aussi pour l'action des services : en encadrant ces pratiques de manière exigeante, la loi de 2015 protège aussi les agents du renseignement. Il s'agit donc d'un texte équilibré.

Ce rappel ayant été fait, permettez-moi de profiter de cette tribune pour déconstruire les fantasmes récurrents qui affaiblissent la qualité du débat, pourtant crucial, sur l'algorithme.

Tout d'abord, l'algorithme n'est pas une boîte noire ! Nombreux sont d'ailleurs ceux qui ont accès à l'intérieur de cette boîte, au premier rang desquels la CNCTR, qui vérifie son code source avec des experts, ingénieurs indépendants, et veille à la bonne utilisation de l'algorithme.

Tous, sur ces bancs, nous avons été destinataires d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur l'utilisation des algorithmes – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Par ailleurs, les membres de la délégation parlementaire au renseignement, dont je suis et à qui, chers collègues, vous avez délégué le contrôle des éléments couverts par le secret de la défense nationale, ont eu accès à un rapport classifié encore plus détaillé, reprenant le fonctionnement et les résultats des trois algorithmes en service.

L'algorithme n'est pas non plus un outil de surveillance de masse. Les algorithmes travaillent uniquement sur des données anonymes. Ils ne tournent pas sur du contenu, mais sur des données de connexion uniquement téléphoniques. Bref, ils travaillent sur des comportements, pas sur du contenu et encore moins sur des personnes. Pour mémoire, environ 22 000 personnes ont fait l'objet d'une technique de renseignement en 2019, toutes techniques confondues. Dans un pays de 67 millions d'habitants, on ne peut pas qualifier cela de surveillance de masse !

L'algorithme n'est pas non plus un outil liberticide. Au contraire, il est strictement encadré pour préserver les libertés publiques et soumis à pas moins de trois garde-fous principaux.

Tout d'abord, il faut une autorisation du Premier ministre, sur avis de la CNCTR, avant toute mise en oeuvre d'un algorithme – jusqu'à présent, le Premier ministre a toujours suivi cet avis. Cette autorisation est ensuite soumise à renouvellement, au bout de deux mois, puis tous les quatre mois. Ensuite, il faut une seconde autorisation, après nouvel avis de la CNCTR, pour procéder à la désanonymisation d'un comportement identifié par l'algorithme. Enfin, si la personne détectée suscite l'intérêt des services et qu'ils désirent la surveiller, une troisième autorisation est nécessaire, examinée par la CNCTR, pour appliquer cette technique de renseignement.

D'un point de vue opérationnel, l'algorithme n'est pas non plus un gadget. Dans le rapport qu'il a rendu au Parlement, le Gouvernement indique que l'algorithme « a montré qu'il était en mesure de fournir des informations particulièrement utiles sur le plan opérationnel ». Les algorithmes ont permis d'identifier des individus porteurs d'une menace terroriste, de détecter des contacts entre des individus porteurs de menace, d'améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste et, enfin, d'alléger la surveillance sur les objectifs du bas du spectre. Mettre en lumière des terroristes, leurs relations, leurs techniques : voilà un bilan incontestable !

Parlons, pour finir, des échéances et du périmètre. S'il me paraît effectivement opportun de décaler dès à présent la date du 31 décembre 2020 pour sécuriser juridiquement l'expérimentation du dispositif, les amendements adoptés par la commission de la défense et la commission des lois pour limiter la prorogation au 31 juillet 2021 – au lieu du 31 décembre 2021 – permettront au législateur de débattre rapidement des évolutions de la loi de 2015 en général et de l'algorithme en particulier.

Nous possédons donc un dispositif équilibré, encadré, utile opérationnellement et sur lequel le Parlement aura de nouveau à se prononcer bientôt. Sa prorogation est indispensable.

Je ne peux clore cette intervention sans rendre un hommage aux femmes et aux hommes des services de renseignement. Les pompiers, les policiers et les militaires sont régulièrement applaudis dans l'hémicycle. Les femmes et les hommes des services de renseignement le sont rarement, pour ne pas dire jamais.

J'aimerais que l'Assemblée rende aujourd'hui hommage à leur travail discret, secret, dont, par définition, toute gloire est exclue, en les applaudissant.

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