Intervention de Jennifer De Temmerman

Séance en hémicycle du jeudi 23 juillet 2020 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2021

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJennifer De Temmerman :

Nous abordons ce débat en dressant un constat : celui de la forte dégradation de nos finances publiques. Le niveau de déficit, qui est estimé à 11,4 % dans le PLFR 3, a augmenté de plus 9 % par rapport à la loi de finances initiale. Quant à la dette publique, elle a augmenté de plus de 20 % : estimée à 98,7 % du PIB en loi de finances initiale, elle était évaluée à 120,9 % dans le PLFR 3.

Et alors que la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 prévoyait que le déficit et l'endettement publics s'établiraient respectivement à 1,2 % et 94,2 % du PIB en 2021, nous nous éloignons de la trajectoire vertueuse des finances publiques que nous suivions encore il y a peu. Aussi pouvons-nous déplorer qu'un plan de relance complet n'ait pas été présenté avant ce débat, afin d'assurer une meilleure visibilité du coût des mesures de relance de l'exécutif et de leurs conséquences sur les finances publiques.

Pendant les huit semaines où la France a été confinée, le numérique a été l'outil privilégié pour le travail, les échanges et la continuité pédagogique. Ceci nous amène à un constat : alors que nos concitoyens et nos entreprises ont recours aux services de ce secteur qui s'est révélé peu affecté par la crise, les géants du numérique éludent encore brillamment l'impôt en France. Malgré une politique fiscale de l'offre, l'exécutif peine à faire rentrer dans les caisses de l'État des deniers si importants en période de fragilité économique.

L'autre sujet important auquel nous devons courageusement nous attaquer est celui de l'évitement fiscal sous toutes ses formes. Déjà, en 2019, les efforts du Gouvernement avaient permis de récupérer 10 milliards d'euros, notamment grâce à l'amélioration des outils de détection de fraude, comme le data mining – la fouille de données – , l'aménagement du « verrou de Bercy », ou la collecte des informations publiées sur les réseaux sociaux et les plateformes de commerce entre particuliers.

Si nous saluons ces efforts, nous rappelons que les pertes fiscales dues aux pratiques illégales sont estimées entre 60 à 80 milliards d'euros par an en France. C'est dire l'ampleur du phénomène et ses conséquences sur nos finances publiques. Aujourd'hui, il devient nécessaire de se battre davantage au niveau européen, notamment avec l'adoption de directives fiscales et l'instauration d'outils rénovés – l'actualité l'a encore rappelé récemment.

Parallèlement à la lutte contre les transferts de patrimoine vers d'autres pays aux régimes fiscaux plus avantageux, nous devons également assainir notre système fiscal de plusieurs niches en matière d'impôt sur les sociétés. Je pense en particulier aux travaux de ma collègue Émilie Cariou sur la « niche Copé » et le régime mère-fille. La politique fiscale de l'offre, lancée par le Gouvernement dès le début du quinquennat et tendant à une réduction du taux d'impôt sur les sociétés à 25 %, doit s'accompagner d'une parfaite maîtrise des différents boucliers fiscaux qui existent dans notre droit.

S'agissant de la reprise économique, après le rebond enregistré au mois de mai, nous assistons au mois de juin à une nouvelle progression de l'activité, même si certains secteurs, comme l'hébergement et la restauration, ont encore du mal à se redresser. Si la stabilité des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales peut s'entendre dans un contexte de reprise – en particulier pour nos PME, TPE et artisans – le soutien accordé par le Gouvernement à travers les plans de relance doit s'accompagner d'exigences environnementales et sociales fortes. La puissance publique ne saurait s'appuyer uniquement sur le bon vouloir des entreprises, alors que la transition écologique de notre économie est nécessaire pour redonner confiance aux ménages, moteur essentiel de la reprise économique, mais aussi pour orienter les investissements des entreprises et entamer un redressement durable de nos finances publiques.

Comme en témoignent les résultats des dernières élections municipales ainsi que les conclusions de la convention citoyenne pour le climat, c'est avant tout la demande de nos concitoyens. C'est pourquoi le groupe EDS a déjà formulé plusieurs propositions, notamment s'agissant de l'impôt de solidarité, qui fonde notre pacte républicain. À situation exceptionnelle, contribution exceptionnelle : celle de certains acteurs doit être étudiée, comme cela avait été fait suite à la crise de 2008. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dont l'ombre ne cesse décidément de planer sur cet hémicycle et ailleurs, le gouvernement de François Fillon avait ainsi créé une taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation des entreprises d'assurance.

Cette demande citoyenne de transition durable doit être prise en considération dès maintenant dans le plan de relance et dans le projet de loi de finances pour 2021. C'est pourquoi le groupe EDS réitère ici la nécessité de soutenir massivement les investissements des collectivités locales dans la transition écologique et solidaire à travers au moins 5 milliards d'euros par an sur trois ans pour la mobilité, les transports, l'aménagement urbain et rural, la rénovation des bâtiments, le changement de modèle agricole et la sortie des pesticides ainsi que pour la protection de la biodiversité des ressources et des sols.

La proximité permet des projets innovants, agiles et adaptés aux territoires. La commande publique constitue à cet égard un levier formidable. Les élus sont prêts à agir, notamment dans les Hauts-de-France. J'ai pu le constater dans ma circonscription, à l'occasion d'une réunion organisée avec Xavier Bertrand à Steenvorde. Donnons aux collectivités les moyens de l'action immédiate.

Il nous apparaît également nécessaire de refonder la fiscalité du patrimoine et du capital et de renforcer leur progressivité pour s'assurer que les fruits de la prospérité et les richesses accumulées contribuent plus équitablement à l'effort collectif de solidarité nationale. La réintégration des liquidités dans un impôt sur le patrimoine, l'imposition des dividendes provenant des paradis fiscaux, le rehaussement du prélèvement forfaitaire unique, la remise en cause des niches fiscales favorables aux plus fortunés comme de celles encourageant la dépendance aux énergies fossiles, la transformation des droits de succession ainsi que de la fiscalité foncière et immobilière sont aujourd'hui des mesures urgentes et de justice sociale.

Alors qu'une branche autonomie s'apprête à voir le jour et qu'un plan de relance ambitieux est attendu, ne faisons pas l'impasse sur les recettes nécessaires pour repenser notre croissance et notre société. Si la crise sanitaire a entraîné une augmentation de la dette publique de plus de 20 %, notre niveau d'endettement avant cette crise était déjà beaucoup trop important. Les différentes politiques publiques mises en oeuvre successivement ont en effet dégradé l'état de nos finances publiques. « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis en son temps. Si l'homme appartient certes à une autre époque, la citation reste d'actualité. Le lien entre les politiques publiques, leur application et la situation de nos finances publiques est clairement établi.

Les dix-sept objectifs de développement durable – ODD – fixés par l'Agenda 2030 constituent les outils adéquats pour repenser nos politiques publiques, leur efficacité et donc la résilience de notre modèle de développement face aux crises. Je reste convaincue que cet agenda est en phase avec les priorités du moment qui sont d'ordre économique, social et écologique, comme en témoignent les résultats du récent sondage commandé par l'association 4D sur la perception des ODD par le grand public. Le nombre de Français déclarant savoir précisément de quoi il s'agit a doublé depuis 2019, 57 % d'entre eux se disant désormais prêts à adapter leur mode de vie. Au sein de la population, les plus demandeurs sont nos jeunes, nos enfants – eux qui semblent un peu oubliés dans vos plans.

Chers collègues, vous connaissez mon engagement sur ce sujet. Aujourd'hui plus que jamais, ces objectifs requièrent une volonté politique de haut niveau afin de donner un signal fort à nos concitoyens et de jeter les bases d'une société résiliente. Puisque je m'exprime dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques, j'appelle de tous mes voeux à la prise en considération des objectifs de développement durable dans la construction de nos politiques publiques et à leur intégration dans le processus budgétaire afin que le budget pour 2021 constitue une réponse appropriée au besoin de transition écologique de notre économie, aux préoccupations sociales et à l'urgence environnementale ainsi qu'aux attentes de notre jeunesse. Ne laissons personne sur le côté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.