Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du vendredi 31 juillet 2020 à 9h00
Bioéthique — Article 10

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Pour quoi faire ? À quoi bon ? Je vous mets en garde contre l'idée selon laquelle le passé aurait des droits sur le présent pour ce qui est de la construction individuelle. À mon sens, cette conviction va à l'encontre d'une certaine vision de l'humanisme, que nous partageons, me semble-t-il, et qui veut que la personne se construise hors des dominations et des déterminismes. Que vous soyez de droite alors que je ne le suis pas ne nous empêche peut-être pas de penser de même à ce sujet. C'est l'idée d'émancipation, qui est aux racines de l'humanisme.

Poursuivons la querelle philologique, puisque nous l'avons commencée. Le terme « émancipation » vient du latin « ex mancipium » et signifie sortir du mancipium, de l'autorité du père – je mets en avant, en l'espèce, non pas sa fonction familiale, mais le poids de la tradition, le passé qui nous surplombe et nous commande. C'est cela, la tradition humaniste. C'est pour cette raison que vous nous verrez toujours très pointilleux dès qu'il sera question du droit aux origines.

J'ai plaidé en son temps contre la levée de l'anonymat des femmes accouchant sous X, parce que je pensais déjà qu'il était erroné de croire que l'enfant pourrait trouver dans son passé autre chose qu'une persécution contre la femme qui eut le courage de le mettre au monde, fût-ce sous X.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui me cuit. Le jour où j'ai appris que j'étais grand-père, j'ai mis en doute mes certitudes car je sentais mienne, au-delà de tout ce que j'avais pu penser jusqu'alors – si ce n'est, peut-être, le jour où j'ai fait la connaissance de ma fille – , cette petite que je n'avais pas encore rencontrée.

Le hasard bienveillant de l'existence a fait que je me trouvais en Argentine à ce moment-là et que j'avais rendez-vous avec les grands-mères de la place de Mai, ces femmes à qui on avait enlevé leurs enfants, lesquels avaient pu avoir eux-mêmes des enfants avant de mourir sous les coups.

Ces femmes, qui demandaient à ce que leurs petits-enfants leur soient rendus, nous bouleversaient. Je me suis décidé à discuter de manière plus approfondie avec elles et il est ressorti que ces femmes qui pensaient, comme une évidence, avoir un droit sur leurs petits-enfants comme je l'avais moi-même ressenti une heure avant, étaient parfois confrontées à un dilemme terrible : certains de ces enfants ne voulaient pas les connaître, considérant que leurs parents, quoi qu'ils aient fait, étaient ceux qui les avaient élevés, alors même qu'ils avaient été les bourreaux de leurs propres parents. La raison ne peut pas venir à bout d'un tel paradoxe.

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