Intervention de Jean-François Eliaou

Séance en hémicycle du vendredi 31 juillet 2020 à 21h30
Bioéthique — Article 19 bis a

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Eliaou, rapporteur de la commission spéciale :

… même si c'est la troisième ou la quatrième fois que nous en discutons.

Vos amendements proposent de rétablir l'article, adopté à l'Assemblée contre mon avis, qui supprimait totalement la technique du DPI-HLA.

Pour mémoire – et je vous prie d'avance de m'excuser si je répète des choses que j'ai déjà dites – , cette technique, qui existe dans le droit actuel, est déjà très encadrée et la loi prévoit bien qu'elle ne peut être mise en oeuvre que dans des conditions très exceptionnelles. D'abord, le couple demandeur doit avoir donné naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique incurable entraînant la mort dès les premières années. Ensuite, toutes les autres possibilités thérapeutiques doivent avoir été épuisées. Troisièmement, le pronostic vital pourrait être significativement amélioré grâce à une greffe de cellules souches hématopoïétiques, celles-ci étant toujours prélevées à partir du sang de cordon, et non pas de la moelle plus tard, parce qu'on peut congeler les cellules souches hématopoïétiques prélevées du côté du placenta, sans porter atteinte au corps de l'enfant qui naît. Enfin, dernière condition, le diagnostic ne concerne que la maladie génétique en question.

À l'issue des auditions auxquelles nous avons procédé et après nos nombreuses discussions en première lecture, je suis convaincu que le cadre législatif en vigueur doit être maintenu pour certaines pathologies : anémie de Fanconi, drépanocytoses ou thalassémie – c'est pratiquement tout. Dans ces conditions, contrairement à ce que vous avancez, madame Brocard, trouver un donneur non apparié, dont le typage HLA est identique – dont le groupe tissulaire est identique – est très difficile, d'autant plus que ces enfants n'ont pas forcément un donneur dit « caucasien » dans le fichier des greffons de cellules souches hématopoïétiques.

Ensuite, pour ces pathologies, on a bien montré qu'un donneur au groupe tissulaire identique non apparenté entraînait un moins bon pronostic après la greffe que si l'on s'était servi de cellules souches hématopoïétique du frère ou de la soeur.

L'hôpital Antoine-Béclère, le seul à avoir pratiqué cette technique en France, a cessé cette activité depuis 2014. Même s'il n'existe plus d'équipe qui pratique ce genre de technique, la conservation du cadre législatif en vigueur permet la prise en charge des patients et de leurs familles lorsqu'ils vont recevoir une greffe à l'étranger – en pratique, en Belgique. Si nous supprimons ce soir ce cadre législatif et que le Sénat n'y revient pas, il n'y aura pas de prise en charge par la sécurité sociale du transport et de la greffe à l'étranger. Je vous laisse imaginer les conséquences sociales d'une telle suppression.

Actuellement, une disposition du code de la santé publique interdit aux couples de recourir à une nouvelle stimulation ovarienne dès lors qu'ils disposent d'embryons « sains », c'est-à-dire non affectés par la mutation génétique de la maladie de Fanconi, par la drépanocytose ou la thalassémie, même si ces embryons ne sont pas HLA compatibles. Si nous ne modifions pas cette disposition du code de la santé publique, on devra implanter des embryons qui, certes, ne présenteront pas la tare génétique, mais qui ne seront pas HLA compatibles. Les grossesses se multiplieront jusqu'à ce qu'on trouve un embryon qui serait HLA compatible et dénué de la tare génétique. C'est pourquoi, en 2014, le centre Antoine-Béclère a mis un terme à ce type de pratique.

Je vous demande donc toute votre attention. Bien sûr qu'il est difficile de comprendre la pratique du bébé médicament. Bien sûr que les parents font actuellement des bébés sous la couette pour trouver le petit frère ou la petite soeur qui sera HLA compatible et exempt de la tare génétique – du reste sans nécessairement recourir à un diagnostic prénatal. Nous en sommes là. Si nous supprimons ce cadre, pensez aux conséquences que je vous ai exposées. Pour toutes ces raisons, évidemment, je donne un avis défavorable à cette série d'amendements.

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