Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du vendredi 31 juillet 2020 à 21h30
Bioéthique — Article 21 bis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Venons-en au fond du problème. Y a-t-il seulement un problème ? Certains contestent qu'il y en ait un, estimant que la loi en vigueur est suffisamment claire. En effet, la loi interdit bien les mutilations génitales – encore heureux, me direz-vous ! L'article 16-3 du code civil le dit bien ; l'article L. 1111-4 du code de la santé publique le précise. Par ailleurs, notre estimé collègue, le rapporteur Eliaou, l'a confirmé très explicitement en commission : les actes de conformation sexuée sont interdits par le code civil. Le Conseil d'État l'a également rappelé.

Pourtant, la France a été condamnée par des institutions internationales, ce qui a amené la ministre alors chargée de la santé à affirmer que toutes les opérations médicales qui se déroulent en France étaient parfaitement légales et n'étaient donc pas des opérations de conformation sexuée. Dès lors, deux hypothèses demeurent : soit toutes les opérations réalisées en France s'inscrivent strictement dans le cadre de la loi et ne sont pas des opérations de conformation sexuée, auquel cas les institutions internationales ont tort ; soit il existe bel et bien, en France, des opérations de conformation sexuée, susceptibles d'être différées en vue de recueillir le consentement de la personne concernée, auquel cas la loi doit être précisée.

À ce sujet, que savons-nous ? L'étude du système national des données de santé – SNDS – pour l'année 2017 démontre qu'au moins sept vaginoplasties avec réduction du clitoris ont été effectuées sur des enfants de moins d'un an. Il s'agit bien d'actes de conformation sexuée, plus précisément de féminisation, avec une vaginoplastie incluant éventuellement un enfouissement ou une réduction du clitoris. Ces opérations sont destinées, indique l'étude, « à assurer des rapports sexuels pénétrants ». Je précise qu'il ne s'agit pas là de personnes présentant une hyperplasie congénitale des surrénales, laquelle relève d'une autre catégorie nosographique et d'un autre code dans la classification du SNDS. Il s'agit, sans aucune urgence vitale pour la personne concernée, de fabriquer un vagin de taille pénétrable par un pénis.

Prévoir des rapports sexuels pénétrants pour des enfants de moins de deux ans relève-t-il de la nécessité médicale ? À l'évidence, non, car ils sont encore loin de la majorité sexuelle. Aurait-on pu attendre ? Bien évidemment ! Ces actes ont-ils pu être réalisés avec le consentement des personnes concernées ? Certainement pas, compte tenu de leur jeune âge. Ont-ils entraîné une mutilation, définie comme une ablation ou une détérioration définitive d'un organe constituant une atteinte grave et irréversible à l'intégrité physique ? Oui, malheureusement oui.

Le rapport prévu à l'article 21 bis montrera qu'on dénombre bien d'autres cas. Au demeurant, même s'il n'y en avait que sept par an, cela suffirait à nous obliger à interdire cette pratique. Pourquoi donc pratique-t-on encore des opérations de conformation sexuée aujourd'hui en France ? Méconnaissance de la loi ? Sans doute. Manque de clarté de la loi sur ce point ? Peut-être.

Quoi qu'il en soit, il est clair que le législateur doit préciser son intention. Une étude du fichier de l'assurance maladie, citée par le rapport conjoint de la fondation Jean Jaurès et de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT – DILCRAH – , identifie 4 678 opérations potentiellement illégales réalisées en 2017 sur des enfants de moins de treize ans, dont 87 % ont été réalisées sur des enfants de moins de quatre ans. Ces chiffres sont en augmentation de 10 % depuis 2006.

De quoi parle-t-on précisément ? Il s'agit d'interventions médicales non consenties, irréversibles et non cruciales pour le maintien de la vie. Hormis de rares cas justifiés par une nécessité vitale, il n'existe aucune urgence vitale pour la personne concernée. Pourtant, de nombreuses autres opérations sont pratiquées – je vous en épargne la liste, mais elle est longue.

Outre ces interventions médicales, il faut également tenir compte de l'assignation à un genre, de façon purement arbitraire, ce qui impose un parcours de transition en cas de décision erronée.

On peut enfin dresser une liste d'autres atteintes à l'intégrité physique et à la dignité qui ont été rapportées : traitements hormonaux imposés, expérimentations médicales, expositions non consenties à des étudiants en médecine…

Pour justifier ces actes médicaux, il est généralement avancé qu'ils permettraient d'améliorer le bien-être psychique de la personne concernée ; ils favoriseraient son insertion dans la société. Mais la facilitation supposée de l'insertion sociale ne constitue pas un motif thérapeutique. D'ailleurs, sa réalité n'est nullement démontrée.

Pourtant, les personnes sont quasi-systématiquement opérées depuis les années 1960. Ces affirmations se placent donc dans le champ de la supposition ou du préjugé social, et non dans celui de la science.

L'Association française d'urologie écrit à propos de la prise en charge de l'hyperplasie congénitale des surrénales : « la correction chirurgicale est habituellement programmée entre l'âge de deux et six mois, principalement pour des raisons psychologiques concernant à la fois les parents et l'enfant. Il est certainement assez traumatisant pour la mère de voir sa fille avec des organes génitaux externes anormaux à chaque change. Il est également admis qu'une apparence normale des organes génitaux est importante pour l'enfant afin de développer son identité sexuelle ». Au nom de ce traumatisme « certain » pour la mère, des enfants sont irrémédiablement mutilés. Nous sommes en train de considérer sérieusement qu'il vaut mieux opérer un enfant immédiatement, sans lui demander son avis, pour un bénéfice thérapeutique absent, et ainsi de le mutiler définitivement, plutôt que d'attendre qu'il puisse s'exprimer sur le sujet !

Non seulement ce bénéfice ne repose sur aucune étude scientifique rigoureuse, mais de surcroît les préjudices liés à ces actes médicaux d'assignation sont largement ignorés par la littérature médicale. Ils sont cependant très nombreux, très violents, et leurs effets durent jusqu'à la fin de la vie. Les conséquences de ces mutilations peuvent être terribles pour les personnes concernées. Parfois, elles mènent au suicide.

La loi doit fixer des principes généraux, et ne peut en aucun cas s'occuper des cas particuliers. Ici, les principes généraux déjà inscrits dans la loi sont-ils suffisamment clairs ? Non. Des opérations mutilantes sont pratiquées alors que la loi les interdit déjà ! En commission, des collègues ont estimé qu'il ne fallait pas prévoir d'interdiction générale, mais agir au cas par cas. En un sens, je les approuve ; mais faire du cas par cas, en la matière, cela veut dire laisser la personne décider elle-même.

La question éthique que nous devons trancher aujourd'hui est celle-ci : qui peut décider d'une opération irréversible, mutilante, en l'absence d'urgence vitale, quand la personne concernée n'a pas encore l'âge de consentir à cette opération ? Cette question n'est pas technique ou médicale ; c'est une question de droits humains.

Évacuons d'ores et déjà ce qui pourrait constituer un hors-sujet : ce qui est en cause, ce n'est pas la technique, ni l'évolution de la technique qui permettrait de pratiquer des opérations moins invasives, de laisser des cicatrices moins marquées. Ce n'est pas ce qui est en cause. Le problème n'est pas que l'opération soit réussie, mais que la personne concernée n'y ait pas consenti. Ce qui est en jeu, ce sont des éléments fondamentaux des droits de la personne : droit à l'intégrité du corps, droit à l'autodétermination.

L'article 16-1 du code civil dispose : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. » L'article 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclame que « toute personne a droit à son intégrité physique et mentale ». Le droit à l'autodétermination est quant à lui reconnu dans la loi, dans des articles déjà cités, par le conditionnement des actes au consentement libre et éclairé de la personne. C'est cette dernière qui décide ce qu'il advient de son corps, et personne d'autre. Ce principe est fréquemment réaffirmé et le droit à disposer de son corps devrait, selon nous, être davantage protégé en étant inscrit dans la Constitution.

C'est le même principe qui devrait s'appliquer : c'est mon corps, je décide, pas mes parents, pas les médecins – sauf bien sûr dans les cas d'urgence vitale. Des exceptions à ce principe sont admises par la loi, mais le Conseil d'État le rappelle : seules sont envisageables les « interventions qui s'imposent afin d'éviter de mettre en jeu le pronostic vital de la personne ou les souffrances physiques associées à ces variations » du développement sexuel. Il est tout à fait possible d'attendre que la personne concernée soit en âge de parler, de comprendre et d'exprimer un avis libre et éclairé sur la question. L'association du mineur aux décisions qui le concernent est déjà prévue par la loi, à l'article 371-1 du code civil.

Évidemment, les parents peuvent décider pour l'enfant : ils sont titulaires de l'autorité parentale. Mais, dans le cas qui nous occupe, on expose les parents à prendre pour leur enfant une décision qui conduit à modifier son corps de façon irréversible, alors même qu'il n'y a aucune urgence médicale particulière. C'est pour les parents un dilemme terrible, et il ne faut pas les pousser dans de telles situations. D'un côté, ils subissent la pression de la société et du corps médical ; on leur explique que leur enfant est malade, anormal, qu'il a un problème – qu'une opération simple et sans risque peut corriger. D'un autre côté, ils se disent bien que même si l'opération est réussie, peut-être aurait-il fallu attendre, demander à leur enfant ce qu'il en pense, s'il est prêt à vivre son corps tel qu'il est ou s'il souhaite qu'une opération soit pratiquée. C'est une situation intenable.

Il est impératif que les parents puissent apprendre quelles sont les alternatives disponibles. Toutes les options doivent leur être présentées ; la voie pathologisante ne doit pas être la seule proposée.

Le corps, à la naissance, ne permet pas toujours d'assigner clairement un genre. Or la déclaration à l'état civil implique sa détermination.

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