Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du mercredi 16 septembre 2020 à 15h00
Conseil économique social et environnemental — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille :

Je ne vais pas vous surprendre, monsieur le ministre délégué, en vous disant que si vous-même ou le garde des sceaux devez un jour marquer notre époque, ce n'est pas avec un tel projet de loi que vous accomplirez votre destin.

En lui-même, ce texte est en effet d'un intérêt extrêmement limité. De mon point de vue, il n'y a pas grand-chose à en dire, mais j'ai bien sûr pleinement conscience que cette opinion personnelle n'est pas partagée par tous. Aussi laisserai-je à mon collègue Philippe Gosselin, qui en a une perception plus positive, le soin d'amender ce projet.

Pour ma part, je veux saisir cette occasion pour faire le point sur l'approche institutionnelle du président Macron et de sa majorité.

À cette fin, je vous proposerai d'examiner rapidement trois questions : le Gouvernement a-t-il raison de se préoccuper de nos institutions ? A-t-il correctement identifié les causes de notre crise institutionnelle ? Est-il capable de proposer une réponse globale ? Peut-être le pressentez-vous, je répondrai positivement à la première de ces questions et négativement aux deux suivantes.

Je serai extrêmement bref sur mon premier point car il fait assurément consensus. Nul n'ignore en effet la profondeur de la crise institutionnelle que traverse le pays. Oui, les Français doutent de nos institutions. Non, ils n'ont plus confiance dans leurs représentants. Oui, ils perçoivent quotidiennement l'impuissance publique.

C'est d'ailleurs à la lumière de ce contexte de défiance extrême et de « dégagisme » qu'il faut analyser l'irruption puis le succès d'Emmanuel Macron au printemps 2017. Il faut cependant constater que, depuis l'élection présidentielle, les choses ne se sont pas véritablement améliorées. Bien au contraire, le mouvement des gilets jaunes comme l'explosion de l'abstention aux dernières élections municipales attestent d'une nouvelle aggravation du malaise démocratique.

Alors oui, le Gouvernement a raison de se préoccuper de nos institutions. J'ajoute que, compte tenu de l'ampleur des difficultés qui concernent tout le monde, toutes les formations politiques doivent participer et contribuer à cette réflexion.

En revanche, je ne crois pas du tout que le Gouvernement ait correctement identifié les causes de cette défiance devenue permanente chez les Français. Deux erreurs ou insuffisances me paraissent manifestes. La première concerne l'impuissance publique ; la seconde, la question de la représentation.

Après la « présidence normale » de François Hollande et l'épisode pittoresque des frondeurs, Emmanuel Macron a voulu remédier à l'impuissance publique avec un positionnement personnel plus solennel et un encadrement plus strict de sa majorité et, au-delà, du Parlement.

Pour montrer l'efficacité de la parole présidentielle, il fallait qu'elle fût le plus rapidement possible traduite en décisions et en actes. Cette réaction était bien compréhensible mais c'était céder – après d'autres, il est vrai – à l'illusion que l'élection présidentielle avait validé un programme alors qu'il n'en était rien : dans le climat de défiance que nous connaissons, elle n'avait validé que la lassitude à l'égard des anciens partis et la méfiance à l'égard de Marine Le Pen.

Dans ces conditions, le rétablissement de la verticalité du pouvoir ne pouvait pas avoir l'effet escompté. Le pouvoir voulait rassurer et protéger, mais il a été perçu à la fois comme arrogant et arbitraire.

En effet, pour les Français, l'impuissance publique ne tient pas à la lenteur dans l'exécution des décisions prises par l'exécutif, mais aux dysfonctionnements d'un État inadapté. Comme j'ai eu l'occasion de le mettre en évidence en Seine-Saint-Denis, nos concitoyens ont parfaitement conscience de l'inefficacité de nos outils d'action publique.

La dégradation de la situation, tant à l'école qu'en matière de sécurité ou de justice, ne leur échappe pas. Pour eux, l'impuissance publique est le fait d'un État et de responsables politiques qui sont dans le déni face à ces réalités. Aussi la mise en scène d'un pouvoir autosatisfait et incantatoire leur est-elle de plus en plus insupportable. Tel est le premier fondement de la défiance dans notre pays.

La tentative de restauration de l'autorité ayant échoué sur les ronds-points, le Président de la République et sa majorité se préoccupent désormais de répondre à la crise de la représentation. C'est l'objet de ce texte réformant le CESE et c'est également le souci de tous ceux qui nous annoncent l'introduction prochaine du scrutin proportionnel.

Pour répondre de façon satisfaisante à la crise de la représentation, il faut avoir une vision très claire de ce qui ne fonctionne plus et de ce qu'il s'agit de rétablir. Or il est évident que vous n'en savez rien. Vous n'avez alors d'autre option que d'agir à la marge, en jouant sur différents leviers. Comme vous ne savez pas où vous allez, vous vous engagez à demi et sans réelle conviction sur plusieurs chemins. Et peu importe que ces derniers soient sans issue ou incompatibles.

C'est ainsi que, loin d'être refondatrice, votre réforme du CESE est un modeste toilettage. Les esprits malveillants parleront, eux, d'acharnement thérapeutique. Quant à la proportionnelle, que pourra-t-elle apporter, alors que tous les partis sont également discrédités ?

Enfin, si les consultations citoyennes sont les bienvenues – oui, j'y crois vraiment ! – , le cadre du CESE est-il le plus adapté pour leur donner un réel impact ? L'Assemblée nationale n'a-t-elle pas logiquement et naturellement vocation à être le carrefour des consultations publiques et citoyennes ?

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