Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du lundi 21 septembre 2020 à 16h00
Programmation de la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Depuis des siècles, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, la science a alimenté les connaissances de l'humanité, lui apportant les outils nécessaires pour explorer et comprendre son environnement, élever sa conscience et lui permettre d'évoluer. En ce sens, la recherche, comme la culture, demande une sensibilité créatrice, parfois des essais-erreurs et, surtout, une liberté intellectuelle.

Alors que nous sommes confrontés à la plus grande catastrophe sanitaire de notre temps et que se dessine un mouvement de défiance envers la science, il est plus que jamais nécessaire de donner les moyens à la recherche de relever les défis d'aujourd'hui et de demain, et de réaffirmer les principes qui la fondent, notamment l'intégrité scientifique. Ces enjeux sont cruciaux et pourtant, madame la ministre, votre loi de programmation n'est pas à la hauteur de l'urgence à laquelle fait face la recherche française. C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés propose un projet alternatif qui permettra d'atteindre réellement les ambitions affichées.

Repartons de l'état de la recherche aujourd'hui. Le constat est unanime : la France est en retard. Elle investit moins de 2,3 % de son PIB dans la recherche et seulement 0,7 % dans la recherche publique, alors que les objectifs de 3 % et 1 % étaient fixés pour 2010 – niveaux que ses homologues de l'OCDE ont atteints, voire dépassés, pour certains. En outre, elle a 20 % de chercheurs et 50 % de personnels de soutien de moins que l'Allemagne.

Les attentes partagées par toute la communauté scientifique, madame la ministre, étaient connues : elles portaient sur un investissement massif dans la recherche française, notamment publique. Pourtant, cette loi de programmation confine à l'illusion.

Illusion car ce ne sont pas 25 milliards, mais seulement 5 milliards que le Gouvernement prévoit, et encore sans prendre en compte l'inflation ou la crise actuelle.

Illusion aussi car la trajectoire proposée ne permet même pas d'atteindre l'objectif de 1 % du PIB consacré à la recherche publique.

Illusion encore car l'étalement sur dix ans ne fait que reporter à plus tard l'effort et rend l'objectif incertain.

Illusion, enfin, car aucun cadre budgétaire précis n'est fixé, en dehors du milliard supplémentaire pour l'ANR : pas de moyens pour les universités et leurs étudiants, peu pour les laboratoires, augmentations de rémunération en trompe-l'oeil, non pérennes, sans réévaluation du point d'indice, pourtant si attendue.

Ce projet de loi, qui ne consacre que deux articles à la programmation, n'est finalement qu'un prétexte pour venir réformer les statuts qui fondent notre recherche française. Quand, au long des vingt-trois autres articles, vous parlez d'attractivité, ce que nous entendons, nous, c'est moins d'intégrité, moins de travail collaboratif et plus de concurrence.

La multiplication des voies de recrutement d'agents contractuels, notamment les nouveaux tenure tracks et CDI de mission scientifique, remet fortement en question le statut des enseignants-chercheurs et la conception française de la fonction publique. Sous couvert de faciliter les embauches, le Gouvernement organise la précarité, qui pèsera davantage sur les femmes. Par ailleurs, la facilitation des passages entre public et privé, sans garde-fou, nous éloigne encore un peu plus des notions d'éthique et d'indépendance scientifique.

Madame la ministre, votre projet de loi n'est pas cohérent par rapport aux ambitions que vous affichez : les députés du groupe Socialistes et apparentés vous proposent donc une programmation alternative. Ma collègue et présidente de groupe Valérie Rabault vous a détaillé comment nous atteindrions dès 2027 l'objectif de 1 % du PIB consacré à la recherche publique. Notre contre-projet apporterait à nos chercheurs les moyens et les conditions de travail dont ils ont besoin.

Nous proposons de libérer du temps pour la recherche grâce à la réduction de 25 % du nombre d'heures d'enseignement des enseignants-chercheurs, réduction compensée par la création de 3 000 postes d'enseignants-chercheurs par an entre 2021 et 2025. Nous souhaitons adapter les effectifs des personnels assurant des fonctions de soutien et de support à ceux des chercheurs. Nous voulons augmenter les rémunérations pour atteindre un salaire double du SMIC dès l'embauche et faire progresser les carrières ; octroyer à chaque jeune chercheur une dotation de démarrage de 10 000 euros par an sur trois ans ; faire en sorte que tous les doctorants reçoivent au moins 1,5 SMIC par mois ; mettre un terme aux situations de précarité chez les vacataires de l'enseignement supérieur. Enfin, nous préconisons d'investir dans les locaux de recherche et dans les universités, et de les moderniser, afin d'être à la hauteur des enjeux liés au partage des connaissances.

François Rabelais écrivait : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Que ce soit dans les domaines économique, environnemental, social ou sanitaire, les temps sont plus que difficiles : ne laissons pas se détériorer l'esprit de la recherche française, ni notre souveraineté scientifique. Ne décevons pas la communauté scientifique et universitaire. Intéressons-nous aux liens entre science et société ; investissons dans une véritable culture scientifique : c'est là un enjeu démocratique primordial.

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