Intervention de Alice Thourot

Séance en hémicycle du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlice Thourot, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Comme nous allons aborder la question de la date d'échéance du régime transitoire lors de l'examen des prochains amendements en discussion commune et que nous aurons l'occasion de revenir sur le cas des discothèques lors de l'examen de certains amendements portant article additionnel après l'article 1er bis, je vais concentrer mon propos sur le bien-fondé de ce régime duquel vous souhaitez, mes chers collègues, sortir dès le 30 octobre prochain.

La proposition d'une sortie précipitée n'est pas tenable, nous en avons déjà discuté : le principe de réalité doit s'appliquer en l'espèce, et les chiffres alarmants – vous l'avez vous-mêmes souligné – fournis par le ministre de la santé montrent ce qu'il en est. Je suis sûre que vous conviendrez que la situation sanitaire est « préoccupante » – c'est le qualificatif employé par le Conseil scientifique – et qu'elle exige des mesures de protection nécessaires, et donc l'existence d'outils adaptés pour les prendre. En leur absence, vous critiqueriez la légèreté et l'irresponsabilité du Gouvernement, et vous auriez raison. L'objectif est vraiment d'éviter à tout prix un reconfinement et de permettre la relance de notre pays.

Juridiquement, quelles pourraient être les alternatives à ce régime transitoire ? Ce pourrait être le retour au droit commun ou le retour à l'état d'urgence sanitaire.

S'agissant du retour au droit commun, on peut tous être d'accord sur le fait que la situation sanitaire est tout sauf normale, et qu'il est donc important de disposer d'un régime quelque peu différent, d'autant que l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, cité à plusieurs reprises dans l'hémicycle depuis le début des débats, n'est pas l'instrument miracle de la sortie de crise et du retour à la normale. Je rappelle que cet article se fondait sur la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles – historiquement, le seul exemple connu en la matière, c'est la guerre. L'application de cet article n'a pas duré puisque nous avons très rapidement voté ensemble le texte relatif au régime de l'état d'urgence sanitaire qui a permis d'asseoir, dans la durée, le dispositif.

Aujourd'hui, l'article L. 3131-1 sert seulement de base juridique à un arrêté du ministre des solidarités et de la santé relatif à l'organisation du système de santé pour faire face à l'épidémie. Vous voyez bien que ce véhicule juridique ne serait pas suffisant pour faire face à la situation. Il n'est pas du tout adapté à la réponse interministérielle que nécessite la gestion de la crise, je pense en particulier au secteur du commerce ou à celui des transports, ni aux mesures prises dans le cadre du décret du 10 juillet 2020 – ce que le Conseil d'État a d'ailleurs confirmé dans ses avis sur les deux derniers projets de loi.

C'est par exemple sur le fondement de ce décret, et non sur celui de l'arrêté du ministre chargé de la santé, que la généralisation du port du masque a pu être imposée, que la présentation d'un test PCR pour les passagers en provenance d'un pays à risque a été rendue obligatoire, que les établissements où les gestes barrière ne peuvent être respectés sont maintenus fermés, et je pourrais citer bien d'autres mesures. Aucune d'entre elles n'est prise par plaisir, le ministre a lui-même rappelé tout à l'heure qu'elles le sont sans enthousiasme, mais elles sont nécessaires pour prévenir la propagation de l'épidémie.

Pourquoi alors ne pas revenir à l'état d'urgence sanitaire ? Vous conviendrez certainement avec moi que cet outil particulier doit demeurer un instrument exceptionnel afin de préserver son acceptabilité. Je ne suis pas, à titre personnel, favorable à le rétablir et à le prolonger pour toujours. J'attire votre attention sur le fait qu'il ne faut pas attendre que la situation sanitaire se dégrade au point de justifier un nouveau déclenchement de ce dispositif ou un reconfinement général de la population que nous voulons à tout prix éviter.

L'intérêt que nous défendons est celui de la santé publique. Je le rappelle car, si on parle beaucoup à raison ce soir des libertés publiques, il convient de trouver le juste équilibre entre le droit à la protection de la santé, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, et les libertés, en l'espèce celle d'aller et venir. Tel est l'objet de nos débats.

J'émets donc un avis défavorable sur les amendements de suppression.

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