Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 15h00
Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

Je ne vous cache pas ma sincère émotion. Cette émotion, que partagent certains collègues ainsi que d'anciens députés, se fait ressentir à quelques minutes d'un vote qui tourne le dos à des années de travail et de combat aux côtés des apiculteurs et de centaines de milliers de citoyens qui se sont mobilisés pour obtenir l'interdiction des néonicotinoïdes.

De fait, ce sont vingt-six ans d'efforts pour faire reconnaître les vérités scientifiques sur les impacts monstrueux de ces poisons qui seront remis en question par ce projet de loi de réhabilitation des néonicotinoïdes, et ce pour des enjeux économiques de court terme.

Ce texte intervient au moment même où l'économie mondiale a dû être mise à l'arrêt et se trouve en récession en raison d'une pandémie dont l'état des connaissances scientifiques nous dit qu'elle est certainement liée à la destruction massive des écosystèmes, laquelle permet à des virus de franchir des barrières d'espèces.

Au-delà de tous les enjeux politiques, l'orientation que le Gouvernement propose au Parlement est bouleversante. On se demande comment une telle aberration, qui consiste à remettre sciemment dans la nature un poison qui tue les abeilles, les oiseaux ou les papillons, et qui continuera de produire des effets bien au-delà de cette législature, pourra être assumée aussi bien politiquement que moralement.

Depuis l'autorisation des néonicotinoïdes dans les années 1990, 85 % des populations d'insectes qui peuplent les campagnes de France ont disparu en moins d'un quart de siècle, tandis qu'un tiers des oiseaux des champs se sont éteints en moins de quinze ans. Ces chiffres donnent le vertige.

La voilà, la véritable pénurie qui menace notre souveraineté et notre sécurité alimentaires : elle est celle des pollinisateurs et des insectes. Elle produit une nature morte et vide de toute cette richesse du vivant qui fait la beauté de nos paysages et travaille gratuitement avec nos agricultrices et nos agriculteurs.

Avec ce projet de loi, nous avons beaucoup parlé de la betterave à sucre, mais sans donner droit à l'intérêt général ni voix au chapitre à toutes les autres productions agricoles ; je pense, bien sûr, à l'apiculture, mais plus généralement à toutes les grandes cultures qui dépendent de la pollinisation et présentent déjà une évolution défavorable de leurs rendements, faute de pollinisateurs.

Qu'à cela ne tienne, des semences enrobées de néonicotinoïdes, contenant des produits tellement dangereux qu'ils ont été interdits non seulement en France mais dans l'Union européenne, seront utilisés sur 400 000 hectares, sans même que l'on sache si les conditions propices aux infestations de pucerons et à la jaunisse ne se reproduiront pas.

Un moineau passe et mange une ou deux graines de semences mal enfouies : il est tué instantanément !

En outre, 80 à 98 % du poison contenu dans les semis néonicotinoïdes part dans le sol et dans les eaux. Une abeille passe et boit dans une flaque : elle meurt instantanément ! D'autres vont butiner les pissenlits ou les colzas à des centaines de mètres voire à des kilomètres de là : elles ramèneront des néonicotinoïdes dans la ruche alors que des quantités infimes, de l'ordre de 0,005 nanogramme par jour, suffisent à multiplier par deux le taux de mortalité au sein de la colonie.

Ce désastre durera pendant des années car ces poisons s'accumulent et leur rémanence dépasse les vingt ans.

Au cours du débat d'hier, nous avons entendu, médusés, certaines argumentations contestant ces vérités scientifiques. Mais nier l'évidence de la dangerosité des néonicotinoïdes pour la biodiversité est aussi obscurantiste que de nier la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines dans le changement climatique.

Quant à la situation de la filière de la betterave à sucre, il existait un autre chemin. Mais vous avez écarté toutes les propositions que nous avons faites pour indemniser les pertes des agriculteurs et leur assurer des revenus garantis, conditionnés à une évolution des pratiques vers l'agro-écologie. La réhabilitation des néonicotinoïdes a été justifiée par un argument roi, s'apparentant à un chantage : celui du spectre d'une pénurie de sucre alors que la France est très largement exportatrice.

Le groupe Écologie démocratie solidarité appelle à un vote de conscience et de lucidité sur l'urgence climatique dans laquelle nous sommes. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé un vote solennel. À l'Assemblée nationale, il y a des votes qui échappent à la logique partisane car ils constituent des choix éthiques. Nous appelons chaque député à s'émanciper des camps, à faire le choix de la survie du vivant, à voter pour les abeilles, les papillons et les oiseaux.

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