Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Être rapporteure d'application d'une loi portant sur la restitution d'objets culturels consiste à vérifier que les textes réglementaires permettant la mise en application de cette loi sont promulgués dans les délais.

Aussi, à partir de la date d'entrée en vigueur des deux articles de cette loi que nous sommes disposés, je crois, à voter aujourd'hui, les vingt-six oeuvres du royaume d'Abomey cesseront de faire partie des collections nationales. L'autorité administrative disposera alors d'un an pour organiser la restitution matérielle de ces oeuvres à la république du Bénin.

Pour le sabre dit d'El Hadj Omar Tall, déjà exposé au musée des civilisations noires de Dakar et dont la convention de prêt a été renouvelée pour cinq ans, il devra également cesser de faire partie des collections nationales, à compter de la date d'entrée en vigueur de ce texte, dans le même délai. Nous ne voyons là aucune difficulté. Il s'agit d'un acte de restitution symbolique de portée diplomatique.

On peut évidemment imaginer les problématiques diverses auxquelles devront répondre les autorités françaises, béninoises, et sénégalaises dans une moindre mesure, ainsi que les équipes des musées concernés. Des inquiétudes se sont fait entendre, bien que personne ou presque ne conteste la légitimité de ces demandes.

Permettez-moi donc de vous rappeler quelques éléments. Le futur musée d'Abomey, dont l'achèvement est prévu en 2023, fait partie d'un vaste projet d'investissement, « Bénin révélé », qui comporte, outre des équipements muséaux, la réhabilitation et la construction d'infrastructures patrimoniales et muséales, combinées à la restructuration de l'École du patrimoine africain de Porto Novo. C'est donc par Ouidah, ville symbole de l'esclavage, que ces oeuvres devraient transiter avant d'atteindre leur destination finale.

Accompagné financièrement par l'Agence française de développement, l'AFD, et l'agence Expertise France, agence française de coopération technique internationale, sur des questions administratives et juridiques, épaulé par le ministère de la culture et les équipes du Quai Branly, ce vaste projet s'inscrit dans le cadre d'une coopération culturelle que tous souhaitent équilibrée.

Le règlement nous autorise également à produire dans les trois ans un rapport d'évaluation sur l'impact et les conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de cette loi. Les impacts budgétaires semblent faibles, et nous pourrons, d'ici quelques temps, nous pencher sur les conséquences de ce texte sur les opérateurs et acteurs du marché de l'art.

Ces restitutions ne devraient pas avoir de conséquences administratives majeures. En effet, le travail déjà effectué par la responsable des collections d'Afrique au musée du Quai Branly a permis une approche finement documentée.

Restent les questions sur d'éventuelles impacts sociaux que ce texte a mis en exergue. Au-delà du fait de savoir si les objets dont nous parlons auront retrouvé leur terre d'origine dans les conditions et les délais prévus par le texte, nous ne pouvons ignorer les enjeux passionnants de tous ordres soulevés par ce retour.

Avec le rapporteur, nous avons entendu l'importance symbolique que revêt la restitution de ces objets, dont nous avons probablement le plus grand mal à comprendre la fonction de médiation et l'originalité du cycle de vie. Les débats qu'elle peut provoquer, dans un contexte marqué par le questionnement sur les conséquences de la colonisation et de l'esclavage ainsi que sur les traces qu'ils ont laissées, sont d'actualité.

Nous avons également entendu l'attente enthousiaste et sans amertume des autorités du Bénin et du Sénégal ; nous l'avons entendue comme une demande de geste d'amitié, preuve de confiance indispensable pour construire une nouvelle relation équitable entre la France et l'Afrique, fondée sur une exigence de vérité et une volonté bilatérale d'apaiser les conflits de mémoire et de nourrir un dialogue exigeant.

Il s'agit pour nous de participer, modestement certes, mais avec conviction, à un geste par lequel nous reconnaissons la légitimité de ces demandes et le rôle qu'elles auront dans la réappropriation par la jeunesse africaine de son histoire fragmentée, où la diaspora des objets et des personnes s'est entremêlée dans le temps et l'espace.

Ce geste doit participer de la construction d'un pont entre le passé et l'avenir, entre celles et ceux qui ont été privés d'une trop grande partie de leur patrimoine et celles et ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, se sont donné pour mission d'enrichir les collections nationales.

« Le patrimoine africain ne peut être prisonnier de nos musées européens. » Au-delà des propos inattendus tenus par le Président de la République en novembre 2017 se posent évidemment de nombreuses questions sur leur portée et sur la manière dont la France entend soutenir ce travail de mémoire et de reconstruction que tant d'Africains souhaitent voir se concrétiser.

Pour autant, nous savons aussi que ce cheminement de retour ne sera pas sans embûches, car ces objets, quelles que soient les conditions de leur arrivée dans nos musées nationaux, ont acquis, avec le temps et le soin apporté par nos conservateurs, par les amoureux de l'art, une autre fonctionnalité.

Le principe d'inaliénabilité, dont la visée à la fois protectrice et universaliste complique aujourd'hui, autant qu'elle le protège, le processus de restitution, demeure le cadre incontesté de la permanence de nos collections.

Aussi diverse et complexe qu'est et que fut l'histoire de nos relations avec le continent africain, rien ne semble altérer le sentiment de fascination et d'étonnement face à la beauté de ces objets, dont la puissance artistique et spirituelle renouvelle sans cesse l'intérêt muséal et ethnographique. C'est une confrontation qui nous interroge sur l'histoire de ces voyages souvent forcés et nous pousse à repenser la circulation de ces patrimoines.

Il ne peut donc s'agir de tenter de solder un passé colonial par une manière détournée de déguiser une autre forme d'ingérence, en faisant de nos musées européens un modèle indépassable, en niant l'expertise des conservateurs africains et en faisant peser sur le Sénégal et le Bénin le doute quant à leur capacité et leur volonté de valoriser ces restitutions, de construire à travers elles un chemin d'accès à leur propre culture au bénéfice des populations locales.

La tentation de ne pouvoir imaginer ces oeuvres hors de l'écrin du musée du Quai Branly est grande, mais la demande d'accompagnement, de soutien et de partage est établie ; elle devrait participer, sans naïveté excessive, de la promesse d'une nouvelle éthique de l'échange.

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